Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/438

Cette page n’a pas encore été corrigée

cet outrage, n’ait été de me faire retomber entre leurs mains ; car je ne leur dois rien… à moins, " a-t-elle ajouté d’un ton plus foible, et s’essuyant encore les yeux, " que je ne doive les payer de ma ruine ". Je vous jure, madame, lui ai-je dit, en attestant le ciel en ta faveur, que tout coupable qu’il est sur tout le reste, il est innocent de ce dernier attentat. " qu’il le soit donc, a-t-elle repris ; je souhaite qu’il le soit. Ce tourment, quelque douloureux qu’il ait été pour moi, est un des plus légers que j’aie soufferts. Mais vous pouvez observer ici, Madame Lovick, pour satisfaire la curiosité que vous m’avez témoignée plusieurs fois, que je n’ai jamais été mariée. M Belford ne peut avoir ignoré que je ne l’étais pas ; et je déclare aujourd’hui que je ne le serai jamais. Cependant je rends grâces au ciel d’avoir veillé à la conservation de mon innocence. à l’égard de mes avantages naturels, je suis née d’une famille distinguée. J’ai, par mes propres droits, une fortune au-dessus du commun, indépendante de mon père même, si je le voulais ; mais je ne le voudrai jamais. Mon père est très-riche. J’ai pris un nom qui n’est pas le mien, lorsque je suis entrée dans cette maison : c’était dans la vue de me dérober au perfide, qui s’engage désormais, par la bouche de M Belford, à finir ses persécutions. Mon nom réel, vous le savez, est Harlove ; Clarisse Harlove. Je n’ai pas encore vingt ans. J’ai une excellente mère, digne d’une meilleure fille. Je dois le même témoignage à la bonté de mon père. Ils m’adoraient tous deux. J’ai deux oncles d’un fort bon caractère, jouissant d’une immense fortune, jaloux de l’honneur de leur famille, que je me reproche d’avoir blessé : je faisais la joie de leur coeur. Leurs maisons, comme celle de mon père, étoient des lieux que je pouvais dire à moi. Ils voulaient m’avoir chez eux tour à tour, et j’étais quelquefois le sujet d’une tendre querelle. Je passais deux mois chez l’un, deux chez l’autre, six chez mon père, et le reste de l’année chez d’autres chers amis, qui faisaient leur bonheur de me voir. Pendant tout le temps que j’étais chez l’un ou chez l’autre, j’étais accablée des lettres continuelles de ceux qui languissaient pour mon retour. En un mot, j’étais chérie de tout le monde. Les pauvres et les malheureux ne me quittaient pas, sans avoir reçu quelque soulagement à leur misère. Mes mains n’étoient jamais fermées dans l’occasion de faire du bien : aujourd’hui je suis pauvre moi-même. Ainsi, mesdames, vous ne me prendrez plus pour une femme mariée ; il est juste que je vous fasse cet aveu. Je suis actuellement, comme je le dois, dans un état d’humiliation et de pénitence, pour la téméraire démarche qui a produit tant de maux. Je me flatte d’obtenir le pardon du ciel, parce que je m’affermis dans la disposition de pardonner à tout le monde, sans excepter l’homme qui m’a jetée, par son ingratitude, et par d’horribles parjures, dans l’abîme où je suis. Mais je ne puis espérer que ma famille me pardonne jamais. Mon refuge est la mort. Il n’y en a point de si cruelle qui ne me paroisse plus supportable que d’être la femme d’un homme qui m’a trompée, lorsque j’avais fondé de meilleures espérances sur sa naissance, son éducation et son honneur. Je vois qu’après avoir fait autrefois les délices de tout le monde, je ne suis propre aujourd’hui qu’à causer de la douleur ou de la pitié. Vous qui ne me connaissez que par mon propre récit, vous en êtes touchées jusqu’aux larmes ; j’admire votre bonté. Mais il est temps de finir cette triste apologie. La tendresse de vos cœurs vous y rend trop sensibles (effectivement il échappait des sanglots aux deux femmes ; et je n’étais guère moins attendri). Il me suffit de vous avoir donné une légère connaissance de ma situation, et quelques motifs de confiance pour mon caractère et pour mes sentimens. Votre compassion