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parole à donner pour votre paiement, et portant tous ses effets dans un mouchoir de poche. Ma subite absence, lorsque je me suis vue arrêtée pendant trois jours et trois nuits, a dû redoubler votre étonnement : et quoique M Belford, qui sait peut-être mieux que moi-même la plus noire partie de mon histoire, vous ait informées, comme vous me l’avez dit, que je suis plus malheureuse que coupable, je me crois obligée de ne pas laisser à d’honnêtes gens le moindre doute de mon caractère. Il faut donc vous apprendre que dans une occasion (je pourrais dire dans une seule occasion, mais elle est essentielle) j’ai manqué d’obéissance pour des parens d’une indulgence extrême : car ce que d’autres nomment cruauté dans leur conduite, ne vient que d’un excès d’affection et de la douleur qu’ils ont eue de me voir répondre mal à leurs espérances. J’ai reçu, mais d’abord avec l’aveu de ma famille, les soins d’un homme de naissance, et tout à la fois, comme la suite l’a prouvé, du plus mauvais caractère dont je crois qu’il y ait jamais eu d’exemple. Mon frère, qui est un jeune homme fort attaché à ses opinions, se trouvait alors absent. à son retour, une ancienne inimitié lui fit désapprouver des visites qui avoient commencé sans sa participation. Il avait beaucoup d’ascendant sur notre famille. Après m’avoir présenté plusieurs autres partis, qu’on me laissa la liberté de rejeter, il introduisit un homme extrêmement désagréable, choquant même pour toute personne indifférente. Je ne pus m’accoutumer à le voir. Tous mes proches ne laissèrent pas de s’unir, pour me forcer de le prendre ; d’autant plus qu’une rencontre sanglante, entre mon frère et le premier, leur avait fait prendre pour celui-ci des sentimens de haine. En un mot, ils me firent une prison de ma chambre ; et je me vis si maltraitée, que, dans un transport de chagrin, je pris la résolution de m’évader avec l’objet de leur aversion. Vous condamnerez ce dessein ; mais j’étais persécutée sans ménagement. Cependant je m’en repentis presque aussitôt, et je me déterminai à demeurer, sans me défier néanmoins de son amour, parce que personne ne m’en jugeait indigne, ni de son honneur, avec une fortune qui n’était pas méprisable : mais j’eus l’imprudence (mes parens disent la méchanceté, et m’accusent encore de les avoir quittés volontairement), j’eus la folie de lui accorder un entretien particulier. Je fus trompée ; assez indignement trompée, je dois le dire, quoique toutes les jeunes personnes dont le malheur a commencé par une témérité de la même nature, puissent apporter la même excuse. Après m’avoir fait passer quelque tems dans une maison d’honneur, où je n’ai point de reproche à craindre pour ma conduite, il me procura un fort beau logement à Londres, pour attendre d’autres arrangemens. Mais le temps ne m’a que trop appris dans quel lieu j’étais tombée. Il le savait ; cette connaissance entrait dans ses desseins. Londres était un pays étranger pour moi. D’où seraient venues mes défiances ? Ne me demandez pas d’explication sur la suite de mon malheur. Quelles inventions, quels cruels artifices n’a-t-on pas employés ! Car je ne lui ai pas donné la moindre occasion, pas le moindre avantage qui puisse m’être reproché ". Ici, se couvrant le visage de son mouchoir pour cacher ses pleurs, elle s’est arrêtée un moment ; ensuite elle s’est hâtée de reprendre, pour écarter apparemment un odieux souvenir : " je me suis échappée enfin de cette infame maison, et le ciel m’a conduite dans la vôtre. M Belford m’oblige de croire que mon cruel persécuteur n’a point eu de part à ma dernière disgrâce. Mais je ne doute pas que le but de ceux qui m’ont fait