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humble et très-dévoué serviteur, pendant que je le conduisais jusqu’à son carrosse, et je lui ai rendu presqu’autant de fois son compliment. Ainsi s’est terminée la scène. Quelques mots sur ta dernière lettre, que je trouve un peu choquante. Il me semble que l’esprit de réformation te saisit de bonne heure : la mort lente de ton oncle, et ta patience au chevet de son lit, t’ont préparé par degrés à cette métamorphose. Mais suis ton chemin, comme je suivrai le mien. Le bonheur consiste à trouver du plaisir dans ce qu’on fait. Si tu en peux prendre à mener une vie mélancolique, tant mieux pour toi : c’est être gai, avec cette différence que tu trouveras peu de gens qui veuillent partager ta gaieté. Cependant la santé de ma charmante me jette dans une extrême inquiétude. C’est l’effet de sa dernière aventure. Elle triomphait auparavant et de moi, et de la troupe maudite. Je te crois bien persuadé que je n’y ai aucune part, et je me flatte qu’elle l’est aussi. Le reste, comme je te l’ai dit mille fois, n’est qu’un accident ordinaire, un peu distingué seulement par les circonstances ; voilà tout. Pourquoi donc tant de rigueur de sa part et de la tienne ? La vente de ses habits est véritablement choquante. Quelle dureté, quelle injustice dans ses misérables parens, qui ont entre les mains l’argent qu’elle a laissé, et de gros arrérages d’une terre qui lui appartient ! Ils les retiennent exprès, pour la jeter dans l’embarras. Mais ne dépend-il pas d’elle de recevoir plus d’argent qu’elle n’en a besoin, de cette fière et impertinente Miss Howe ? Et moi, crois-tu que toute ma joie ne fût pas de la servir ? Qui peut donc l’obliger de vendre ses habits, si ce n’est la perversité de son sexe ? Je suppose que son intention soit de me faire enrager ; je ne sais pas trop si je ne dois pas m’en réjouir. D’autres belles se seraient pendues ou noyées, dans le chagrin d’avoir été trompées ; ma charmante fait tomber sa vengeance sur ses habits. Les passions prennent la teinte du caractère. D’ailleurs, crains-tu que l’avarice ne m’empêche de lui rendre le triple de ce qu’elle aura vendu ? Ainsi, Belford, soyons sans inquiétude sur ce point. Tu vois combien elle est sensible aux attentions de son médecin ; juge par-là combien elle doit l’avoir été à l’horrible imprécation de son père. Mais tu dois en conclure que, si j’obtiens seulement la permission de la voir, j’espère avec raison, que ma conduite, mon repentir, mes satisfactions, produiront quelque heureux effet sur elle. Tu passes trop facilement condamnation sur mes torts. Je te dis fort sérieusement que, toute incomparable qu’elle est, l’ardente médiation de mes proches, celle de Miss Howe, et les commissions dont je t’ai chargé, sont de si fortes marques du cas qu’on fait d’elle et de la sincérité de mes sentimens, que je ne vois rien à faire de plus. Crois-moi, laissons l’affaire dans l’état où elle est à présent, et donnons-lui le temps d’y penser un peu mieux. Que répondre à tes résolutions de repentir et de mariage ? Je voudrais te voir examiner d’abord, laquelle des deux doit marcher la première. Si tu prends mon conseil, tu trancheras court, et tu commenceras par le mariage. En veux-tu savoir la raison ? C’est que vraisemblablement le repentir viendra bientôt à la suite ; et des deux, tu n’en feras qu’un, qui aura peut-être plus de force.



M Belford à M Lovelace.

vendredi, 21 juillet, à midi.

M’étant présenté ce matin à la porte de ta divine Clarisse (c’est la qualité que je puis lui donner, comme tu vas l’entendre), elle m’a fait la grâce de me recevoir, aussi-tôt que je me suis nommé. Elle avait passé une nuit supportable ; et quoique foible, m’a-t-elle dit, elle se trouvait mieux qu’hier. Mais j’ai remarqué dans ses regards, qu’elle décline visiblement. Madame Lovick et Madame Smith qui étoient