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Vous ne devez pas vous attendre que je réponde aux vôtres, si vous refusez de satisfaire à la mienne. Qu’avez-vous donc appris ? Eh bien, monsieur, puisque vous me forcez de parler, on m’a dit que Miss Harlove avait été conduite dans une très mauvaise maison. Il est vrai que cette maison ne s’est pas trouvée aussi bonne qu’elle devait l’être. Que vous a-t-on dit encore ? On m’a dit, monsieur, qu’on avait pris d’étranges avantages sur cette incomparable personne ; j’ignore d’ailleurs en quoi ils consistent. Vous l’ignorez, dites-vous ? Quoi ! Vous ne pouvez du moins le deviner ? Je vais donc vous l’apprendre, monsieur. Peut-être s’est-on échappé à quelques libertés pendant son sommeil. Croyez-vous que jamais on n’ait pris les mêmes avantages avec une femme ? Vous savez, M Hickman, que les femmes ont peu de confiance, pendant le sommeil, aux hommes les plus modestes ; pourquoi cette crainte, si elles n’étoient persuadées qu’on peut tirer quelque avantage de ces occasions ? Mais n’avait-on rien employé pour rendre le sommeil de Miss Harlove plus profond ? Cette question est raisonnable, M Hickman. Je vous demande, à mon tour, si Miss Harlove se plaint qu’on ait mis quelque chose de cette nature en usage. Je n’ai pas lu tout ce qu’elle peut avoir écrit. Mais, autant que je suis informé, cette affaire est des plus noires. Pardon, monsieur. Je vous pardonne, Monsieur Hickman. Mais, dans cette supposition même, croyez-vous qu’on n’ait jamais employé le secours du vin pour surprendre une femme ? Croyez-vous que, si Miss Harlove étoit tombée dans un profond sommeil par cette voie, elle fût la première femme sur laquelle on eût pris quelque avantage ? Sous ce tour même, M Lovelace, l’affaire n’est rien moins qu’un badinage. Mais je crains qu’elle ne soit beaucoup plus grave. Et quelles raisons avez-vous de le craindre ? Qu’en dit Miss Harlove ? Expliquez-vous de grâce. J’ai plus d’un motif pour vous en presser. Ce que je puis ajouter, monsieur, c’est que Miss Howe même n’est pas informée du détail. Son excellente amie lui promet seulement de l’en instruire, si le ciel lui conserve la vie : mais elle lui en dit assez, pour faire juger que cette affaire est très-mauvaise. Je suis ravi que Miss Harlove ne soit entrée dans aucun détail. Puisqu’elle est capable de erte modération, vous pouvez dire de ma part à Miss Howe qu’il n’y a point, dans l’univers, de femme plus vertueuse que son amie. Dites-lui que vraisemblablement elle ne sera jamais informée des circonstances que vous nommez le détail ; mais qu’en effet, Miss Harlove a été traitée fort indignement. Dites-lui que, sans savoir quel récit Miss Harlove en a fait, j’ai une si haute opinion de sa bonne foi, que j’en signerais aveuglément la vérité, de quelques traits qu’elle ait pu me noircir. Dites-lui que j’ai trois reproches à faire à son amie : le premier, de m’ ôter l’occasion de réparer mes injustices ; le second, d’être si prompte à les publier, qu’elle m’expose à ne pouvoir jamais les couvrir avec un peu d’honneur pour elle et pour moi. Cette explication, M Hickman, vous paraît-elle un peu répondre au motif de votre visite ? J’avoue, monsieur, que ce langage est celui d’un homme d’honneur. Mais vous avez parlé de trois reproches que vous aviez à faire à Miss Harlove : puis-je vous demander quel est le troisième ? Je ne sais, monsieur, si je dois vous le déclarer ; peut-être aurez-vous peine à le croire. Mais quoique ma divine Clarisse ne soit capable de dire que la vérité, il peut arriver qu’elle ne la dise pas entière… je serais extrêmement surpris (en m’interrompant), et Miss Howe ne serait pas moins affligée, que la conduite de sa malheureuse amie vous eût mis dans le cas de lui devoir cette apparence de discrétion ; car je vous crois trop galant homme pour être capable de faire tomber l’ombre du soupçon sur elle, dans la vue de vous excuser. Vous me pardonnerez, monsieur… oui, oui, M Hickman ; il suffit que vous m’ayez assuré de vos intentions. Je prends quelquefois un ton libre, et je suis disposé à vous passer le vôtre. Mais comptez