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Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

jeudi au soir. Ne doutez pas, très-chère Miss Howe, qu’une amitié si tendre et si constante ne fasse toute la consolation de ma vie. Ma réponse sera courte, parce que je suis assez mal, quoiqu’un peu mieux que ces derniers jours, et parce que j’en prépare une plus longue à votre lettre du 13. Mais je vous déclare d’avance que je ne veux point de cet homme-là. N’en soyez point fâchée contre moi. Non, ma chère, je n’en veux point. Ainsi dispensez-vous, je vous en supplie, de l’épreuve où vous voulez mettre sa bonne foi. Le courage ne m’abandonne pas, et j’ose espérer qu’il ne m’abandonnera jamais. Ma situation n’est-elle pas heureusement changée ? J’en rends grâces au ciel. Je ne suis plus esclave dans une odieuse maison. Je ne suis plus obligée de me dérober au jour, pour éviter mon persécuteur. Un de ses intimes amis, embrassant mes intérêts, s’engage à le tenir éloigné. Je ne vois que d’honnêtes gens autour de moi. Tous mes effets m’ont été renvoyés. Le misérable rend témoignage lui-même à mon honneur. Il est vrai que mes forces sont extrêmement affoiblies. Mais j’ai un excellent médecin, qui me traite, ma chère, avec des soins paternels . Je m’aperçois aussi que ma tête commence à se fortifier ; et je crois quelquefois sentir que je suis au-dessus de mes infortunes. Cependant il m’arrivera plus d’une fois de retomber dans l’abattement. Je dois m’y attendre. La malédiction de mon père… mais vous me ferez un reproche, de mêler cette triste idée au récit de mes consolations. C’est à vous même, très-chère amie, que je recommande instamment de ne pas être trop sensible à mes disgraces. Si vous voulez contribuer à mon bonheur, prenez soin du vôtre, et tournez les yeux sur l’agréable carrière qui est ouverte devant vous. Quelle opinion auriez-vous de votre Clarisse, si vous n’étiez pas persuadée que la plus grande satisfaction qu’elle désire dans cette vie, est de vous voir heureuse ? Ne pensez plus à moi, comme vous le faisiez dans d’autres tems. Supposez-moi partie pour un long, pour un très-long voyage. N’arrive-t-il pas souvent que les plus chers amis se séparent pour un grand nombre d’années, et quelquefois avec peu d’espérance de se revoir jamais ? Je ne suis plus ce que j’étais lorsque l’amitié nous rendait comme inséparables. Nos vues ne doivent plus être les mêmes. Déterminez-vous, ma chère, à rendre un honnête homme heureux, parce que c’est d’un honnête homme que votre bonheur dépend aussi. Adieu, chère amie. Adieu, très-chère Miss Howe. Mais je ne serai pas long-temps sans vous écrire.



M Lovelace, à M Belford.

au château de M, vendredi, 21 de juillet.

Je sors de mon entrevue avec Hickman. C’est une espèce d’homme aussi empesé que ses manchettes. Tu sais, Belford, que je ne l’aime pas. On ne reconnaît pas volontiers du mérite dans ceux qu’on a pris en aversion ; pas même le mérite réel : mais c’est sérieusement que je le trouve épais, lourd, embarrassé, et tel, pour vous rendre justice à tous deux, que tu n’as jamais vu sa ressemblance que dans ton miroir. Il faut te raconter la comédie que je me suis donnée à ses dépens. J’étais