Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/425

Cette page n’a pas encore été corrigée

doigts ardens, et les plis se seraient ouverts d’eux-mêmes pour satisfaire ma curiosité. Je te trouve bien coupable, Belford, de n’avoir pas imaginé quelque moyen de me les envoyer. Tu aurais pu dire que le messager qui apporta la seconde, les avait reprises toutes deux. J’aurais eu le temps de les faire transcrire, et de les renvoyer, comme de la part de Miss Howe. Mes tantes, qui voient la négociation traîner en longueur, se disposent à reprendre le chemin de leurs terres, après avoir tiré de moi l’unique sûreté qu’elles ont pu désirer, c’est-à-dire, ma parole pour la célébration si l’on consent à me recevoir. Le parti que j’ai à prendre, dans l’incertitude que tu me représentes, c’est de ranimer toutes mes facultés, qui ont été comme engourdies par une longue servitude, et par le tumulte continuel de mes esprits, pour me remettre en état d’offrir à Miss Harlove un mari digne d’elle ; ou, si j’ai le malheur d’être rejeté, pour retrouver ma gaieté ordinaire, et faire connaître au beau sexe que je ne suis pas découragé par les difficultés que j’ai trouvées dans cette pénible aventure. Un tour de France et d’Italie sera mon remède pour le dernier de ces deux cas. Miss Harlove oubliera, dans l’intervalle, tout ce qu’elle a souffert de l’ingrat Lovelace, quoiqu’il soit impossible que son Lovelace oublie jamais une femme à laquelle il désespère de rencontrer rien d’égal, quand il ferait mille fois le tour du monde. Si tu ne te lasse point de m’écrire, pour t’acquitter d’une dette que mes lettres sans nombre et sans fin t’ont imposée, je tâcherai de me renfermer dans le désir d’aller à la ville, pour me jeter aux pieds de la divinité de mon cœur. Il m’en coûtera beaucoup ; mais la politique et l’honnêteté me prêteront leurs secours. Je ne veux point l’irriter par de nouvelles offenses. Au contraire, je suis résolu de laisser à ses ressentimens le temps de s’appaiser, afin que tout ce qu’elle pourra faire en ma faveur, ait la grâce et le mérite d’une action volontaire. Hickman (j’ai une mortelle aversion pour cet homme-là) me demande, par un billet que je viens de recevoir, une entrevue pour vendredi prochain, chez Monsieur Dormer , qui est notre ami commun. Les affaires qu’il peut avoir avec moi ont-elles besoin de l’entremise d’un ami ? Cette proposition m’a l’air d’un défi. Qu’en dis-tu, Belford ? Je ne lui promets pas d’être trop civil. Il s’est mêlé de bien des choses. D’ailleurs, je lui porte un peu d’envie, par rapport à Miss Howe ; car, si je ne me trompe point dans l’idée que j’ai de lui, il est impossible que cette virago puisse jamais l’aimer. Charmant sujet d’espérance pour un homme d’intrigue, lorsqu’il a raison de croire qu’une femme sur laquelle il a des vues, est sans inclination pour son mari. Il y a long-temps que tu ne m’as rien dit du pauvre Belton. Informe-nous particulièrement de tout ce qui a rapport à lui. C’est un homme que j’aime. Je lui crois d’autres embarras que ceux de sa Thomasine. Nous passons ici le tems, Mowbray, Tourville et moi, aussi gaiement que nous le pouvons sans toi. C’est un avantage que notre sexe a sur l’autre en amour. Tandis qu’une malheureuse femme soupire dans un coin, ou qu’elle cherche les bois et les déserts pour gémir de ses peines, nous pouvons boire, manger, courir le cerf, et bannir, par de nouvelles intrigues, le souvenir de celles qui nous affligent. Cependant, tout livrés que nous sommes à la joie, mes réflexions sur les injures que cette divine femme a reçues, troublent souvent mes plaisirs. Je compte qu’après m’avoir tourmenté à son gré, elle me permettra de réparer ses maux et les miens. C’est ma consolation. Tu vois que mes sentimens sont encore honnêtes.