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un homme dont l’amitié ne fait honneur à personne, un méchant homme, un homme qui fait le rôle des ministres infernaux ! A-t-elle tenu, a-t-elle pu, a-t-elle osé tenir ce langage, et le tenir à celui dont elle loue l’humanité, et qu’elle préfère à moi pour cette vertu, tandis que l’humanité dont il fait parade n’est exercée qu’à ma prière, et qu’elle ne peut l’ignorer ! N’est-ce pas me ravir l’honneur de mes bonnes œuvres ? Admirable fondement pour ta fine distinction entre le ressentiment et la vengeance ! Mais tu seras toujours malheureux dans tes idées ; et ton partage est de ne concevoir les choses qu’à demi, ou de réussir mal à les exprimer. L’éloge que tu fais de son ingénuité, est un autre de tes entêtemens. Je ne pense pas comme toi de ses plaintes et de ses exclamations. Que peut-elle se proposer ? Seroit-ce de t’inspirer un saint amour ? Au diable ton extravagance ! Dans toute autre vue, néanmoins, n’est-il pas choquant de se représenter une femme si charmante, tête à tête avec un libertin, et lui parlant d’une offense qu’elle ne peut pardonner ? Je souhaiterais beaucoup que ces chastes personnes fussent un peu plus modestes dans leur colère. Il serait fort étrange que Lovelace eût plus de délicatesse que Miss Harlove, sur un point qui en demande extrêmement. Peut-être engagerai-je sa Norton ou sa chère Miss Howe, par quelqu’un de mes agens, à faire un reproche à cette chère novice de ses expressions trop libres. Mais, pour être tout-à-fait sérieux, je t’assure que, malgré le ton méprisant avec lequel elle t’a demandé d’où me venait l’audace de vouloir punir celle d’autrui, je ne pardonnerai jamais à cette maudite Sinclair la dernière violence dont elle s’est rendue coupable contre une femme que j’adore. Les barbares insultes des deux nymphes, dans la visite qu’elles lui ont rendue, et le choix de la plus horrible caverne qu’elles aient pu trouver, dans la vue, sans doute, de lui faire renaître du goût pour leur maison, sont des outrages, pour m’exprimer dans son style, que je te jure de ne jamais oublier. Pour l’opinion que la Lovick et la Smith ont de sa santé, c’est un langage de femme, dans lequel je ne suis pas surpris que tu donnes si facilement, toi qui as vu mourir et ressusciter tant de belles personnes. Je veux t’apprendre ce qui combat cette idée : sa jeunesse et son admirable constitution ; le plaisir qu’elle a toujours pris à faire du bien : un plaisir qu’elle goûtera plus que jamais, puisque mon défaut, comme tu sais, n’est pas une humeur sordide ; sa piété, qui lui fournira des motifs de patience contre des maux inévitables ; la considération du triomphe qu’elle a remporté sur moi par sa résistance, et sur toute la maison par sa fuite ; l’innocence de ses intentions, et l’orgueil intérieur de n’avoir pas mérité le traitement qu’elle a souffert. Comment s’imaginer qu’avec tant de réflexions consolantes, une femme puisse mourir de chagrin ? Au contraire, je ne doute pas qu’en revenant de la consternation où sa dernière disgrâce l’a jetée, son cœur plus tranquille ne se rouvre à l’amour. Ses idées recommenceront à rouler sur le nœud conjugal. La vivacité renaîtra dans son ame, et la fera répondre à mes sentimens avec autant de liberté que de plaisir, quoiqu’avec moins de l’un et de l’autre, que si la chère petite orgueilleuse n’avait pas perdu le droit de se croire trop élevée au-dessus du reste de son sexe. En me faisant le récit de ses amères invectives contre ton pauvre ami, tu me demandes ce que tu aurais pu répondre pour moi. Ne t’ai-je pas suggéré, dans mes lettres précédentes, mille choses qu’un peu de zèle t’aurait fait rappeler pour ma justification ou pour mon excuse ? Mais venons aux circonstances présentes. Il est vrai, comme mon courrier te l’a dit, qu’avant l’officieuse infamie de cette Sinclair, Miss Howe s’était engagée dans mes intérêts. Cependant, elle a dit à mes cousines qu’elle était persuadée que son amie ne me pardonnerait jamais. J’ai une extrême impatience de savoir ce que Miss Howe peut lui avoir écrit, pour la faire consentir à recevoir la main de l’ effronté scélérat , de l’ homme dont l’amitié ne fait honneur à personne , du méchant , du très-méchant homme . Les deux lettres ont passé par tes mains. Si je les avois eues dans les miennes, peut-être la cire du cachet se serait-elle fondue sous mes