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répondu d’un signe de tête, qui ne peut être pris que pour un consentement. Mercredi, 19 juillet, après midi. Je m’étais présenté ce matin à sa porte, où l’on m’avait dit qu’elle avait passé une très-mauvaise nuit. Mais, étant retourné après dîner chez Smith, on m’assure qu’elle est un peu mieux. Elle se loue beaucoup du médecin, qui lui marque, dit-elle, une affection et des soins paternels . Malheureuse Clarisse ! Toute sa vie s’étant passée sous les aîles de ses parens, aujourd’hui qu’elle se voit abandonnée de sa famille, elle trouve quelque chose de paternel dans tous les soins qu’elle reçoit, pour suppléer au père et à la mère, que son cœur respectueux ne cesse pas de regretter. Madame Smith m’a dit qu’elle lui avait donné la clé de ses malles, et qu’elle l’avait priée de faire, avec Madame Lovick, un inventaire de son linge et de ses habits. Après cette revue, qui s’est faite en sa présence, elle leur a proposé de chercher à vendre deux de ses robes ; l’une, qu’elle n’a jamais portée ; l’autre, qui ne lui a pas servi trois fois. Ce dessein m’a causé une peine extrême. Peut-être t’en causera-t-il un peu, elle donne pour raison, qu’elle ne vivra point assez pour en faire jamais d’autre usage ; qu’elle a besoin d’argent ; qu’elle ne veut avoir obligation à personne, tandis qu’il lui reste des effets qu’elle n’a point occasion d’employer. Cependant, quoique ces deux robes soient très-riches, elle n’espère pas, dit-elle, qu’on en puisse trouver ce qu’elles ont coûté. Les deux femmes, embarrassées de ses instances, ont pris le parti de me consulter. Des habits si précieux leur ont fait prendre une idée plus haute encore de son rang et de sa fortune. Elles m’ont pressé de leur apprendre plus particulièrement son histoire. Je leur ai dit qu’elle est effectivement d’une naissance et d’une fortune distinguées. Mais j’ai cru devoir lui laisser à elle-même le récit de ses disgraces, dans le temps et la forme qu’elle jugera convenables. J’ai ajouté seulement qu’elle avait été traitée avec une indignité qu’elle ne méritait pas, et qu’elle était un modèle d’innocence et de pureté. Tu supposeras aisément qu’elles ont paru fort étonnées qu’il y eût un homme au monde capable de cette barbarie. à l’égard des deux robes, j’ai conseillé à Madame Smith de feindre qu’après quelque recherche, elle avait trouvé un ami qui achèterait volontiers la plus riche ; mais d’ajouter, pour éloigner toute défiance, qu’il voulait y trouver quelque avantage. Je lui ai laissé vingt guinées, comme une partie du payement ; et je lui ai recommandé de l’engager adroitement à s’en défaire pour quelque chose de moins. Je vais passer cette nuit à Edgware, mais dans la résolution d’être demain à Londres ; et je laisse cette lettre pour ton courrier, s’il arrive pendant mon absence.



M Lovelace, à M Belford.

au château de M mercredi, 19 juillet. Tu crains avec raison que je ne te soupçonne de quelque perfidie, lorsque tu n’as pas fait difficulté de communiquer ma lettre. Qui croirait, me demandes-tu, que tu n’aies pas dû lire quelques endroits les plus favorables d’une lettre que j’écris à mon ami, pour le convaincre de mon innocence ? Je t’apprendrai qui. C’est celui qui, dans la même lettre où il me fait cette question, me dit effrontément qu’il y a, dans mes lettres les plus sérieuses, un air de légereté et de mauvaise plaisanterie, qui fait aussi peu d’honneur à mes sentimens qu’à mes principes. Que penses-tu maintenant de ta folie ? Deviens, je t’en prie, plus circonspect à l’avenir ; et que cette grossière imprudence soit la seule de son espèce. Elle ne peut penser à moi sans peine ! Elle admire que tu ne sois pas effrayé de mon caractère ! Je suis un cœur endurci, un effronté scélérat,