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elle-même de vous trouver innocent. J’ai parlé de la furieuse lettre que vous m’avez écrite à cette occasion. Après m’avoir regardé un moment, elle m’a demandé si j’avais cette lettre sur moi. Je l’avais en effet. Elle a souhaité de la voir. Sa curiosité m’a jeté dans un horrible embarras. Combien de choses passent entre nous pour ingénieuses ou badines, qui doivent être choquantes pour une femme délicate ? D’ailleurs, tes lettres les plus sérieuses ont un air de légéreté et de mauvaise plaisanterie, qui n’est pas propre à faire prendre une idée favorable de tes principes et de tes sentimens. Je ne lui ai pas caché mes craintes, et je me serais volontiers dispensé de la satisfaire. Mais elle m’a pressé si fortement, que j’ai pris le parti de lui lire quelques endroits convenables à mon dessein : et de passer sur ce qui me paraîtrait capable de lui déplaire. Sur tes deux premières lignes, elle a fait cette réflexion : " quel repentir, quelle confusion de son crime, ou plutôt quelle légéreté, dans un cœur qui n’a que des emportemens et de vaines exclamations pour premier témoignage de douleur " ! Cependant elle a paru fort touchée de l’endrait où tu parles de sa disgrace. J’ai passé tes malédictions contre sa famille, et quelques autres lignes dont elle aurait été blessée. Mais, à l’occasion des reproches que tu te fais à toi-même, elle a fait cette remarque : " les ruses et les inventions qu’il maudit, et le triomphe de ses vils agens, après avoir découvert ma retraite, sont une preuve que toute sa criminelle conduite étoit préméditée ; et je ne doute pas non plus que ses horribles parjures et tous ses cruels artifices ne fussent, dans ses idées, autant de jeux d’esprit, et de merveilleuses finesses, pour lesquelles il s’applaudissait, sans doute, de la supériorité de ses talens ". à cet endroit, m’apprendras-tu, malheureux prophète, où ma punition doit finir ? Elle a soupiré : et, lorsque j’ai lu ces quatre mots, priant peut-être pour ma réformation :

n’ajoutez-vous rien, m’a-t-elle dit en soupirant encore. Le méchant homme ! A-t-elle ajouté, en versant une larme pour toi. Sur ma foi ! Lovelace, je suis persuadé qu’elle ne te hait pas. Elle a du moins la générosité de s’intéresser à ton bonheur futur. Quelle femme as-tu choisie pour l’objet de tes outrages ! Elle a fait une réflexion assez sévère sur moi-même, après l’endrait où tu me pries de lui demander pardon à genoux pour toi. " vous aviez tous votre leçon, m’a-t-elle dit. Vous aviez la vôtre, monsieur, lorsque vous êtes venu pour me délivrer. Je vous ai vu à genoux ; j’ai pris cet excès de condescendance pour une marque de compassion et d’humanité. Vous me pardonnerez, monsieur ; mais je ne savais pas que ce fût simple fidélité pour vos instructions ". Ce reproche m’a piqué. Je n’ai pu supporter l’humiliation de passer dans son esprit pour une misérable machine, pour un Joseph Léman, pour un Tomlinson, et j’ai entrepris, avec quelque chaleur, de lui ôter cette idée. Mais elle m’a fait encore une fois des excuses, en me disant que j’étais l’ami déclaré d’un homme dont elle était fâchée de pouvoir dire, avec raison, que l’amitié ne faisait d’honneur à personne. Elle m’a prié de continuer ; mais je ne m’en suis pas trouvé mieux. à l’endrait où tu dis que j’ai toujours été son ami et son avocat , elle m’a fait un argument sans réponse : " je conclus de cette expression, m’a-t-elle dit, qu’il a toujours eu contre moi de criminels desseins, et que vous ne les avez pas ignorés. Plût au ciel que, dans quelque moment de bonté, et sans aucun danger pour vous, la seule horreur du mal vous eût porté à me