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beaucoup de ressources dans ses lumières naturelles, doit être respectée en faveur de sa foiblesse et de son ignorance : mais vous conviendrez tous qu’il est plus mâle d’attaquer un lion qu’une brebis. J’imite les aigles. C’est aux plus nobles proies qu’ils s’arrêtent. On n’a jamais entendu dire qu’un aigle ait fondu sur un moineau. Le pis, dans l’occasion qui m’anime, c’est qu’après mon triomphe, je me trouverai si couvert de gloire, que rien ne sera plus capable de piquer mon ambition. Toute autre entreprise d’amour n’excitera plus que mon mépris. Je serai aussi malheureux, par mes réflexions sur ma conquête, que Don Juan d’Autriche l’était par les siennes, après sa fameuse victoire de Lepante ; lorsqu’il se plaignait qu’aucun de ses exploits futurs ne pourrait égaler les prémices de sa gloire. Je ne disconviens pas qu’il ne soit facile de répondre à mes raisonnemens, et qu’ils ne méritent peut-être quelque censure ; mais de la part de qui ? Ce n’est pas de la tienne, ni de celle d’aucun de nos associés ; subalternes que vous êtes, dont la vie dépravée, long-temps même avant que j’aie pris la qualité de votre général, a justifié ce que l’envie ou l’épuisement vous fait condamner aujourd’hui. Je vous ai fait l’honneur de vous expliquer mes intentions ; c’est tout ce que vous pouviez prétendre, et ce qu’il me plaît uniquement de vous accorder. Sois donc convaincu, Belford, que tu as tort, et que j’ai raison, suivant nos principes ; ou, du moins, tais-toi. Mais je t’ordonne d’être convaincu : et ne manque point, dans ta première lettre, de m’assurer que tu l’es.



M Belford à M Lovelace.

à Edgware, jeudi, 4 mai. Je sais que tu es un méchant si abandonné, que te donner les meilleures raisons du monde contre ce que tu as une fois résolu, c’est imiter ce fou qui essayait d’arrêter un ouragan avec son chapeau. Cependant, j’espère encore que le mérite de ta dame aura quelque pouvoir sur toi. Mais, si tu persistes ; si tu veux te venger ; sur ce tendre agneau que tu as séparé d’un troupeau que tu hais, de l’insolence de ceux qui l’avoient en garde ; si tu n’es pas touché par la beauté, par l’esprit, par le savoir, par la modestie et l’innocence, qui brillent avec tant d’éclat dans cette fille charmante ; s’il est décidé qu’elle doive tomber, et tomber par la cruauté de l’homme qu’elle a choisi pour son protecteur, je ne voudrais pas, pour mille mondes, avoir à répondre de ton crime. Sur ma foi ! Lovelace, le sujet me tient au cœur, quoique je n’aie pas eu l’honneur de plaire à la divine Clarisse. Mon inquiétude augmente, lorsque je pense à l’imprécation de son brutal de père, et aux infâmes duretés de toute sa famille. Je serais curieux, néanmoins, si tu t’obstines, de savoir par quels degrés, par quels artifices et quelles inventions tu avanceras dans ton ingrate entreprise ; et je te conjure, cher Lovelace, si tu es homme, de ne pas souffrir que les spécieux démons au milieu desquels tu l’as placée, triomphent d’elle, et de ne pas employer des voies indignes de l’humanité. Si tu n’emploies que la simple séduction ; si tu la rends capable d’une foiblesse, par amour, ou par des artifices dont l’honneur ne soit pas révolté, je la plaindrai moins ; et je conclurai qu’il n’y a point