Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/417

Cette page n’a pas encore été corrigée

partie de ces précieuses dépouilles. Elles ont eu l’insolence de le déclarer ; et j’ai eu quelque peine à tirer des mains de Sally, une belle dentelle Malines, qu’elle voulait porter, disait-elle, en mémoire de Miss Harlove. Le ressentiment que j’en ai marqué, et mon entretien avec Madame Smith, m’ont bien établi dans l’estime de cette honnête femme. Nous sommes déjà si familiers, que je me flatte, avec son secours, de pouvoir t’informer quelquefois des évènemens ; et je te promets de ne pas négliger cette ouverture, pourvu que je puisse compter, de ta part, sur la confirmation des engagemens que j’ai pris, en ton nom comme au mien. Tu conçois que le principal regarde la tranquillité de Miss Harlove. à cette condition, je te rendrai volontiers le même office que j’ai reçu long-temps de tes lettres. J’ai donné ordre à ton abominable Sinclair de t’envoyer ses comptes. Elle m’a répondu que la vengeance y aurait bonne part. Toute cette race infernale ne respire en effet que vengeance. J’ai ri de leurs fureurs. Il n’est plus douteux, disent les nymphes, que tu ne prennes le parti du mariage. Tous nos amis suivront ton exemple. La vieille pleure déjà la ruine entière de sa maison.



M Belford, à M Lovelace.

mardi matin, 18 de juillet. Après avoir passé une partie de la nuit à t’écrire, je ne suis pas trop content de me voir éveillé plutôt que je ne m’y étais attendu, par l’arrivée de ton second courrier, qui arrive à six heures du matin, homme et cheval hors d’haleine. Tandis qu’ils se raffraîchiront un moment, je veux t’écrire quelques mots, pour te féliciter de ta rage et de ton impatience. Je m’y étais fort attendu. Mille complimens, Lovelace, sur la sensibilité de ton ame. Quel plaisir tu me causes par tes alênes, tes poinçons, tes épingles et tes paquets d’éguilles ; mais sur-tout par ce tonneau percé de clous dont tu crois déjà sentir les pointes, et que tu me donnes pour une foible image de tes tourmens ! J’aurai soin, à chaque occasion, d’enfoncer de nouveaux clous dans ton tonneau ; et, s’il le faut, je prendrai la peine de te faire rouler moi-même du sommet de ta montagne, jusqu’à ce que le sentiment te soit tout-à-fait revenu. Cependant, tu sais de quelle condition je fais dépendre notre correspondance. N’est-ce pas moi qui ai toujours protesté contre ton ingratitude et ta perfidie ? Et crois-tu qu’étant appelé par toi-même à la réparation de tes cruelles injustices, je puisse manquer de zèle et de fermeté ? Songe que, si ta dame s’est laissé engager à reprendre son logement, c’est sur la parole que je lui ai donnée de la garantir de tes visites : sans quoi, peut-être aurait-elle choisi quelque retraite où, toi ni moi, nous n’aurions pas été capables de la découvrir. J’ai cru pouvoir lui donner cette assurance, non-seulement en vertu de ta promesse, mais parce qu’il est nécessaire que tu connaisses sa demeure, pour ménager son esprit par l’entremise de ses amis et des tiens. Mets-moi donc en état de remplir un engagement si sacré. Autrement, adieu pour jamais à toute amitié, ou du moins à toute correspondance entre nous.