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sont ceux qui leur causent le plus de peine, qu’elles aiment toujours le mieux. Mais étendre sur la roue un esprit tel que le mien ! Cruel bourreau ! Il faut donc que j’attende le retour d’un nouveau courrier ? Que ton infernale malignité soit confondue ! Je voudrais te voir transformé en cheval de poste, et me trouver moi-même assis sur ton dos. Que de coups de fouets, que de coups d’éperons je ferais pleuvoir sur tes flancs épais ! Je t’écorcherais jusqu’au sang. Je te mettrais dans un état qui attirerait après toi tous les dogues du pays, la gueule ouverte, hurlant à la proie qu’ils croiraient destinée pour eux. Donne, donne à mon courrier la suite de ton cruel récit. Qu’il remonte à cheval aussi-tôt. Tu m’as promis que ta lettre serait prête à son arrivée. Tous les coussins ou les fauteuils sur lesquels je vais m’asseoir jusqu’à son retour, et mon lit, si je suis capable de m’y mettre, seront remplis d’alênes, de poinçons, d’épingles et d’aiguilles. Pour me tourmenter par le corps, autant que je le suis par l’esprit, il ne faudrait que m’enfermer nud dans un tonneau percé de clous, et me faire rouler du sommet d’une montagne, trois fois aussi haute que nos plus fameux clochers. Mais je perds du tems. Cependant, hélas ! Comment vais-je l’employer jusqu’à l’arrivée de tes accablantes informations ?



M Belford, à M Lovelace.

lundi au soir, 17 juillet. à mon retour chez Rowland, j’ai appris qu’elle avait fait appeler un chirurgien qui venait de monter avec les femmes de la maison ; et j’ai balancé d’autant moins à les suivre, que faire demander la permission, c’était demander qu’elle me fût refusée. D’ailleurs, j’espérais que les lettres dont je m’étais chargé me tiendraient lieu d’une très-bonne excuse. Miss Harlove était assise sur le bord du misérable lit, l’air extrêmement abattu. J’ai remarqué qu’elle n’écoutait pas le chirurgien, et je n’en ai pas été surpris : car, dans une profession qui se distingue assez depuis quelques années, je n’ai jamais rien vu de plus ignorant. Comme je suis en noir, je crois qu’à mon arrivée, il m’a pris pour un médecin. Il s’est retiré derrière moi, pour attendre apparemment mes ordres. La triste Clarisse a paru fâchée de voir tant d’importuns autour d’elle. Ce n’était pas, a-t-elle dit, la moindre de ses infortunes présentes, de ne pouvoir être un moment seule, et de n’avoir pas la liberté de fermer sa porte à ceux qu’il lui étoit difficile de voir avec plaisir. Cette plainte me regardait particulièrement. Je lui ai fait les plus humbles excuses ; et, priant le chirurgien de se retirer, je n’ai pas attendu qu’elle s’expliquât davantage, pour lui dire que je venais de son nouveau logement, où j’avais donné ordre que tout fût prêt pour la recevoir, dans l’idée qu’elle ne choisirait pas d’autre retraite ; que j’avais une chaise à la porte ; que M Smith et sa femme avoient été dans une mortelle inquiétude pour sa sûreté (je les ai nommés, pour éloigner toute idée de la Sinclair) ; enfin que je lui apportais deux lettres que son hôte avait reçues pour elle. La fin de ce discours a paru réveiller son attention. Sa charmante main s’est étendue pour les prendre. Elle les a portées à ses lèvres. C’est de la seule amie qui me reste au monde, a-t-elle dit, en les baisant une seconde fois. Elle a considéré le cachet, pour s’assurer apparemment, qu’elles n’avoient pas été ouvertes ; et, se plaignant de sa vue, qui n’était pas assez ferme pour entreprendre de les lire dans un lieu si sombre, elles les a mises dans son sein. J’ai commencé à la presser de quitter cet affreux séjour. Elle m’a demandé où je croyais qu’elle pût aller, pour achever tranquillement le peu de tems qui lui restait à vivre, et pour se garantir des insolentes créatures qui ne cessaient pas de l’insulter. Je lui ai promis solemnellement que, chez M Smith, elle ne serait exposée aux insultes de personne ;