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de s’y rendre pour lever la procédure, mais de ne pas se montrer aux yeux de Miss Harlove. L’archer, qui se nomme Rowland, m’a dit que cette malheureuse beauté lui paroissait dangereusement malade, et qu’elle souhaitait de ne voir près d’elle que sa femme et sa servante. Je lui ai répondu que rien ne pouvait me dispenser de la voir ; qu’il savait ma commission, et qu’il me fallait un moment d’entretien. Sa femme est montée : mais, étant revenue presque aussi-tôt, elle nous a dit, qu’elle n’avait pu tirer d’elle un seul mot de réponse ; qu’elle avait remarqué néanmoins du mouvement dans ses paupières, et qu’apparemment la force ou la volonté lui avoient manqué pour les ouvrir. Comment ! Ai-je interrompu. C’est peut-être une foiblesse. Qui vous a dit qu’elle n’est pas mourante ? Je veux monter. Apprenez-moi le chemin. La maison est dans un cul-de-sac fort obscur, où le soleil n’a peut-être jamais pénétré. On m’a conduit au second, par un escalier à demi rompu, et si étroit qu’à peine y pouvais-je passer de front, dans une espèce de caverne, où l’on n’entre qu’en descendant deux degrés. Les murs ont été revêtus de papier, comme j’en ai jugé par une multitude de clous, et par quelque reste de cette riche tapisserie, qui paroissent encore autour des têtes rouillées. Le plancher est assez propre, mais le plafond, qui est fort bas, paraît noirci de fumée, et présente une variété de figures ou de lettres qui sont apparemment l’ouvrage lugubre d’un grand nombre de malheureux, à qui leur captivité n’a pas fourni d’occupation plus amusante. Le lit, qui se présente dans un coin, est environné d’une espèce de rideaux, dont il serait difficile de distinguer la couleur, et qui sont attachés au ciel, parce que tous les anneaux en sont rompus. Une couverture assez nette en impose d’abord aux yeux par ses coins, qui sont repliés en nœud ; mais on découvre à la seconde vue qu’elle est en pièces, et qu’on ne l’a nouée que pour les rassembler. La fenêtre est doublement obscure, et par son enfoncement dans un mur fort épais, et par une grille de fer qui la bouche en-dehors. Au-dessus d’une vieille table, pend un vieux miroir, fendu par mille rayons, au centre desquels on remarque aisément l’impression d’un coup de poing ; ouvrage apparemment de quelque malheureux qui n’a pu modérer sa fureur à la représentation de ses infortunes, qu’il a lues trop fidèlement sur son visage. Quatre chaises vermoulues font le reste de l’ameublement. Telle est, barbare Lovelace, la chambre de lit où j’ai trouvé la divine Clarisse ! J’ai eu le temps de faire ces observations ; car, étant monté si doucement qu’elle n’a pu m’entendre, je suis entré sans qu’elle y ait fait attention, et je ne lui ai vu tourner la tête qu’après diverses marques d’admiration que la force du spectacle m’a comme arrachées. Elle était à genoux, près de l’affreuse fenêtre, sur un mauvais coussin, qui était apparemment l’oreiller de son lit, les deux bras croisés sur le coin de la table, et le dos tourné vers la porte. Elle avait près d’elle un livre, du papier, de l’encre et des plumes. Peut-être s’était-elle assoupie, après avoir employé la première partie du jour à la prière. Sa robe était d’un damas blanc ; mais j’ai cru m’appercevoir que son corset n’était pas lacé. On m’a dit ensuite, que, s’étant évanouie à l’entrée de sa chambre, on avait été obligé de couper ses lacets, et qu’elle ne s’était pas assez occupée de sa parure pour en faire acheter d’autres. Sa coëffure se sentait du même désordre. Cette chevelure charmante, que tu t’es plu si souvent à