Je reconnais, avec le poëte et toi, que les délicieuses voluptés sont celles qui se partagent volontairement. Mais peut-on s’attendre qu’une femme bien élevée se rende à la première attaque ? En suis-je même aux sommations ? Il me paroît certain que j’aurai des difficultés à combattre : d’où je conclus que j’y dois employer la surprise. Peut-être sera-t-il nécessaire d’y joindre un peu de cruauté. Mais les oppositions peuvent être mêlées de consentement. On peut se rendre au milieu de la résistance. Qui sait, après le premier choc, si les combats suivans ne s’affoibliront point par degrés, jusqu’à ce que la soumission devienne volontaire ? C’est le point qui demande d’être éclairci. J’ai vu des oiseaux refuser la nourriture, et se laisser mourir de chagrin d’avoir été pris et renfermés dans une cage ; mais je n’ai point encore rencontré de femme si sotte. Cependant j’ai entendu dire que ces chères ames font de furieuses menaces contre leur vie dans ces occasions. Mais ce n’est pas dire grand chose en faveur d’une femme, que de lui accorder plus de sens qu’aux oiseaux. Cependant nous sommes obligés d’avouer tous qu’un oiseau est plus difficile à prendre qu’une femme. Ainsi, Belford, sans aller plus loin, que sais-je si mon charmant oiseau ne se laissera point apprivoiser, et s’il ne parviendra point, avec le tems, à vivre aussi satisfait de sa condition qu’un grand nombre d’autres que j’ai conduites à ce point ; et quelques-unes, je t’assure, d’un naturel fort sauvage. Mais je devine ton principal motif, dans la chaleur avec laquelle tu prends les intérêts de ma charmante. Je sais que tu es en correspondance avec Milord M qui est depuis long-temps dans l’impatience de me voir enchaîné ; et tu veux te faire un mérite de mon mariage auprès de ce vieil oncle goutteux, dans la vue d’obtenir pour toi-même une de ses nièces. Mais songes-tu que mon consentement te sera nécessaire ? Et ferai-je bien ta cour à Miss Charlotte, en lui apprenant l’affront que tu fais à tout son sexe, lorsque tu me demandes si je crois qu’après avoir subjugué la plus charmante femme du monde, le fruit de la victoire soit égal à la peine ? Lequel penses-tu qu’une femme sensible trouvera le plus excusable, du méprisant personnage qui fait cette question, ou de celui qui préfère la conquête d’une belle femme à toutes les joies de la vie ? N’ai-je pas connu une vertueuse matrone, ou bien aise du moins qu’on eût cette idée d’elle, qui voua une haine éternelle à un homme, pour avoir osé dire qu’elle n’était plus dans l’ âge de plaire ? Mais encore un mot ou deux sur l’objection qui regarde le fruit de la victoire. Le chasseur qui fait la guerre au renard, ne s’expose-t-il pas à toutes sortes de fatigues pour triompher d’une bête qui n’est bonne ni pour lui ni pour ses chiens ? Et dans toutes les chasses nobles, n’estime-t-on pas moins le gibier que l’amusement ? Pourquoi serais-je donc exposé à ta censure, et le sexe à tes outrages, pour ma patience et ma persévérance dans la plus noble de toutes les chasses, et pour n’être pas un braconnier en amour, comme ta question semble le faire entendre ? Apprends de ton maître à traiter désormais plus respectueusement un sexe qui fait les délices et le principal amusement du nôtre. Je reprendrai la plume ce soir.
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