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exposant les coupables à toute la rigueur des loix, croyez-vous que, si M Lovelace et ses complices étoient poursuivis, je fusse capable de paraître devant un tribunal de justice, et d’y soutenir le rôle auquel je serais forcée pour leur conviction ? Puisque mon caractère étoit flétri aux yeux du monde, avant cette horrible catastrophe, et depuis le moment où j’ai quitté la maison de mon père, puisqu’il ne me reste aucun fond d’espérance sur la terre, laissez-moi descendre tranquillement au tombeau. Une larme, une seule larme d’amitié qui tombera des yeux de ma chère Miss Howe, à l’heureux moment où la mort fermera les miens, est l’unique bien qui puisse flatter la tendresse de mon cœur.



Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

dimanche, 9 de juillet. Puisse le ciel signaler sa vengeance, aux yeux de l’univers, sur le plus criminel et le plus abandonné de tous les hommes ! Et je ne doute pas que tôt ou tard l’effet ne réponde à mes vœux. Pour le dédommagement de vos souffrances, c’est sur l’autre monde qu’il faut jeter les yeux. Autre découverte, ma chère. Avec quelle horrible malice vous avez été jouée ! Je vous ai crue très-circonspecte, très-pénétrante ; mais, hélas ! Vous ne l’étiez pas assez pour le perfide à qui vous aviez à faire. La lettre du 7 de juin, que vous m’envoyez comme une des miennes, est une lettre forgée. Le caractère, à la vérité, ressemble beaucoup au mien, et l’enveloppe est celle même de ma lettre : cependant, si vous aviez eu le moindre soupçon de l’imposture, vous qui connaissez si bien ma main, vous n’y auriez pas été trompée. En un mot, cette infame lettre, quoique assez longue, ne contient qu’une partie de la mienne. Tout ce qui pouvait vous éclaircir sur l’horrible caractère de la maison, et vous rendre Tomlinson suspect, est entièrement supprimé. Vous en jugerez vous-même par l’esquisse que j’avais gardée, et que je veux vous envoyer. Vous verrez aussi quel tour il donne aux informations de Miss Lardner. Exécrable monstre ! Un juste égard pour notre sûreté commune, m’oblige, ma chère, de vous exciter à la vengeance contre ce monstre infernal. Les mêmes principes d’ordre et de justice qui constituent l’autorité des loix, font un devoir à l’innocence offensée de les employer contre ses persécuteurs : et ce n’est pas notre seul intérêt que je vous donne pour motif, mais encore celui d’une infinité d’autres, qui sont exposées aux mêmes outrages. Ce qui m’étonne dans ce récit, c’est que le détestable brigand, qui n’a pu deviner à quelle heure mon messager devait arriver, ait trouvé sur le champ une créature disposée à vous représenter. Je réponds de l’honnêteté du jeune homme. Mais il est bien étrange qu’il soit arrivé pendant que vous étiez à l’église, comme je le vérifie, en comparant son récit avec vos explications, tandis qu’il devait être chez Madame Moore deux heures plutôt. Que ne m’aviez-vous marqué, ma chère, que le monstre avait découvert votre retraite, et qu’il était autour de vous ? Vous l’auriez dû sans doute. Cependant je ne puis vous blâmer d’une négligence dont je ne juge que par l’événement. On ne me reprochera pas d’avoir jamais eu trop de crédulité pour les histoires de spectres, de démons, et d’esprits familiers, qui se racontent entre les jeunes filles : cependant je crois que, pour m’expliquer le succès de tant d’impostures et de trahisons, il faut supposer que, si ce misérable n’est pas un démon lui-même, il en a sans cesse une demi-douzaine à ses ordres. Tantôt je leur vois prendre la figure de l’abominable Tomlinson, tantôt celle de l’exécrable Sinclair, tantôt celle de Miladi Lawrance. Mais, lorsqu’ils ont voulu paroître sous la forme angélique de ma chère amie, voyez quel hideux masque ils ont pris aux yeux de mon messager. C’est mon opinion, ma chère, qu’aussi long-temps que le monstre n’aura pas quitté