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cette entreprise. Heureuse, si mes explications vous prouvent du moins ma bonne foi et la constance de mon amitié ! Aussi-tôt, continue-t-elle, que je me vis dans un lieu de sûreté, je ne pensai qu’à prendre la plume pour vous écrire. Mon dessein, en commençant, n’était que de vous demander, en peu de mots, l’état de votre santé. Je ne pouvais attribuer votre silence qu’à la maladie. Mais, au lieu de cinq ou six lignes que je m’étais proposé d’écrire, mon cœur affligé se répandit malgré moi dans ma lettre. Les alarmes dont je n’étais pas encore revenue pour le succès de ma fuite, la fatigue de ma marche, la difficulté que j’avais eue à me procurer un logement, jointes à l’image présente de tout ce que j’avais souffert, aux circonstances de ma situation, aux nouveaux sujets de crainte que j’envisageais dans l’avenir, m’avoient jetée dans un trouble dont toutes mes expressions devaient se ressentir. Il me semble néanmoins que je relus ma lettre. Mais, désespérant d’en faire une meilleure quand j’aurais pris le parti de la recommencer, je me déterminai à la faire partir ; et, pour réponse au reproche de vous l’avoir adressée directement, je n’ai pas d’autre excuse que le désordre même qui ne me permit pas de ménager mieux mes termes. Celle que je reçus de votre mère fut un coup terrible, qui fit saigner d’abord toutes mes plaies. Cependant je remerciai bientôt le ciel d’un autre effet qu’elle produisit. Au milieu des noires vapeurs qui m’assiégeaient, et dans un excès d’abattement dont je n’espérais plus de me relever, elle eut le pouvoir de réveiller mon attention, et de ranimer mes esprits, pour me faire combattre les maux dont j’étais environnée. Mais je déplorai sincérement, comme je le fais encore, suivant l’idée de votre mère, de me voir au nombre de ces malheureuses qui ne peuvent l’être seules . Je m’affligeai jusqu’aux larmes, non-seulement de toutes les peines que je vous avais déjà causées, mais encore de celle que je venais d’y ajouter par ma nouvelle imprudence. Cet incident m’a rendu la force d’écrire à Miladi Lawrance, à Madame Norton, et même à Madame Hodges. Je vous envoie mes lettres et les réponses. Vous verrez qu’il ne manque rien à la révélation des plus lâches impostures. Cependant je ne cesse pas d’admirer comment le misérable Tomlinson a pu se procurer diverses lumières qui m’ont excitée à lui donner ma confiance. Je ne doute pas qu’en approfondissant l’histoire de Madame Fretchville et de sa maison, je n’y découvrisse une autre source de pratiques et d’inventions de la même noirceur. Mais que me reviendrait-il de pousser plus loin ces affreux éclaircissemens ? Quelle chaîne de crimes et de perfidies ! Quelle sera la fin du parjure et de l’imposteur ? Le ciel aussi outragé, aussi bravé que je suis trompée, trahie, déshonorée ! Je dois dire néanmoins, contre moi, que si ce que j’ai souffert est une suite naturelle de ma première erreur, je ne dois jamais me la pardonner ; quoique vous soyez assez partiale en ma faveur, pour me croire irréprochable jusqu’à ma première évasion. à présent, madame et ma très-chère Miss Howe, vous que je reconnais pour mes juges, permettez qu’en finissant ce triste récit, je vous demande à toutes deux ma faveur à laquelle j’attache beaucoup d’importance : c’est de n’ouvrir jamais la bouche sur les potions et les violences que l’enfer a fait employer pour ma ruine. Non que je cherche à dérober ma disgrâce aux yeux du public ; mais des attentats de cette nature