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Vous me dites que, dans votre première lettre, vous m’avez fait une peinture assez fidèle de la maison où j’étais, et que vous m’avez assez précautionnée contre ce Tomlinson, pour être fort étonnée que j’aie pu consentir à retourner sur mes traces. Hélas ! Ma chère, j’ai été trompée, barbarement trompée, par les plus lâches artifices. Sans avoir connu l’infamie de cette maison, par des éclaircissemens qui ne sont pas venus jusqu’à moi, j’avais conçu pour ses habitans une aversion qui ne m’aurait jamais permis d’y retourner. Si vous m’aviez communiqué en effet les informations dont vous me parlez, elles seraient arrivées assez-tôt, et j’en aurais pu tirer un avantage infini. Mais quelle qu’ait été votre intention, vous ne m’en avez pas dit un mot dans la première de ces trois lettres, auxquelles vous me rappelez avec tant de chaleur : et pour vous en convaincre, je vous l’envoie dès aujourd’hui sous cette enveloppe. Ce que vous me dites d’une seconde lettre, qui m’a été remise en mains propres, et la description de l’état où j’étais, couchée, dites-vous, sur un lit de repos, le visage enflammé, etc., m’étonne et me confond. Ciel, aie pitié de la malheureuse Clarisse ! Que voulez-vous dire ? Quel exprès m’avez-vous envoyé ? étoit-ce quelque suppôt de M Lovelace ? Je n’étais donc environnée que de ses complices ! En vérité, ma chère, je ne comprends pas une syllabe à ce récit. Voyons. Vous dites que c’est avant mon départ d’Hamstead ! Ma tête n’avait encore souffert aucun désordre. Ma santé s’était soutenue contre l’excès de mes douleurs. Comment aurais-je pu me trouver dans l’état où votre messager m’a représentée ? Mais il est certain que je n’ai reçu de vous aucun messager. Me croyant en sûreté dans ma retraite d’Hamstead, cette raison m’y retenait plus long-temps que je ne l’aurais souhaité, dans l’espérance d’y recevoir la lettre que vous me promettiez par votre billet du 9, qui me fut apporté par mon propre messager, et dans lequel vous me faisiez compter sur l’assistance de Madame Towsend. J’étais surprise de ne pas entendre parler de vous. On me dit d’abord que vous étiez malade ; ensuite, que vous aviez eu quelque dispute avec votre mère à mon occasion, et que vous poussiez le ressentiment jusqu’à rejeter les visites de M Hickman. Je supposais, tantôt que vous n’étiez pas en état d’écrire, tantôt que la défense de votre mère faisait une juste impression sur vous. Mais je vois aujourd’hui, avec la dernière clarté, que ce méchant homme doit avoir intercepté votre lettre ; et je souhaite qu’il n’ait pas corrompu votre messager, pour l’engager à vous faire un si faux récit. C’était, dites-vous, le dimanche 11 de juin, que votre exprès me remit la lettre. Ce jour-là j’allai deux fois à l’église avec Madame Moore. M Lovelace demeura pendant mon absence, chez cette femme, où je n’avais pas voulu souffrir qu’il se logeât. Il faut que ç’ait été dans l’un ou l’autre de ces deux tems, que le messager se soit laissé séduire. Vous le saurez aisément, ma chère, en vous informant à quelle heure il arriva chez Madame Morre, et par le récit des autres circonstances. Si quelqu’un m’avait vue dans la suite, après mon retour dans l’horrible maison, combattant contre l’effet d’un abominable breuvage, et privée absolument de l’usage de ma raison (car telle est, comme vous l’apprendrez, ma déplorable aventure), peut-être alors m’aurait-on trouvée dans l’état que vous décrivez ; mais, pendant le séjour d’Hamstead, votre pauvre Clarisse était bien éloignée, comme aujourd’hui, d’avoir le visage enflammé. En un mot, ce ne peut être moi que votre messager a vue ; et, s’il a vu quelqu’un, il m’est impossible de deviner qui. Je vais m’occuper uniquement à vous dévoiler la partie la plus ténébreuse de ma triste histoire, autant du moins que l’affreuse nature du sujet me le permettra. Je ne dois pas être trop réservée non plus sur les circonstances, pour ne pas m’exposer au soupçon de chercher à les affoiblir. Mais si vous pouviez vous imaginer combien cette seule idée m’accable, vous me croiriez digne de votre pitié. Je prends un peu de relâche ici, pour employer toutes mes forces à