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Je veux te faire une ou deux questions. Toute charmante qu’est ta Clarisse, penses-tu sérieusement que le but que tu te proposes réponde aux moyens, c’est-à-dire aux peines que tu te causes à toi-même, aux perfidies, aux artifices, aux inventions dont tu t’es déjà noirci à tes propres yeux, et que tu médites encore ? En toutes sortes de perfections, elle est supérieure à toutes les femmes du monde : mais, sur le point que tu veux obtenir, une sensuelle du même sexe, une Partington, une Horton, une Martin, rendra un sensuel du nôtre mille fois plus heureux qu’il ne pourrait espérer de l’être avec elle. les voluptés délicieuses sont celles qui se partagent volontairement. voudrais-tu la rendre malheureuse pour toute sa vie, sans pouvoir compter d’être heureux toi-même un instant ? Jusqu’à présent, il n’est pas trop tard : et c’est peut-être ce qu’on peut dire de plus, si tu as dessein de conserver son estime avec sa personne ; car je crois que, dans la maudite maison où elle est, il lui est impossible de sortir de tes mains. La damnable hypocrite que cette Sinclair ! Comment a-t-elle pu se masquer jusqu’à ce point pendant tout le temps que ta belle a passé avec nous ? Crois-moi, Lovelace ; sois honnête, et marie-toi : rends grâces à ton étoile, qui fait condescendre l’excellente Clarisse à recevoir ta main. Si tu t’endurcis contre tes propres lumières, tu seras condamné dans ce monde et dans l’autre. Tu le seras, te dis-je et tu mériteras de l’être, quand tu aurais, pour juge, un homme qui ne s’est jamais senti si fortement touché en faveur d’une femme, et que tu connais pour ton ami partial. Belford. Nos associés ont consenti que je t’écrivisse dans ces termes. Comme ils ne connaissent rien aux caractères dont nous nous servons, je leur ai lu ma lettre. Ils l’approuvent ; et, de leur propre mouvement, ils y ont voulu mettre leurs noms. Je me hâte de te l’envoyer, de peur d’être prévenu par quelqu’un de tes détestables systêmes. Belton, Mowbrai, Tourville. p s. on me remet à l’instant les deux tiennes. Je ne change point d’opinion, et je ne rabats rien de mes ardentes sollicitations en sa faveur, malgré le dégoût qu’elle a pour moi.



M Lovelace à M Belford.

mercredi, 3 mai. Après la peine que je me suis donnée de t’expliquer mes vues, mes desseins et mes résolutions par rapport à cette admirable fille, il est bien extraordinaire que tu t’évapores, comme tu fais en sa faveur, lorsque je n’ai fait encore ni essai, ni tentative, et que toi-même, dans une lettre précédente, tu as donné, comme ton opinion, qu’on pouvait prendre avantage de la situation où elle se trouve, et qu’il n’est pas impossible de la vaincre. La plupart de tes réflexions, particulièrement celle qui regarde la différence des plaisirs que peuvent donner les femmes vertueuses et les femmes libertines, sont plus propres aux momens qui suivent l’expérience qu’aux temps qui la précèdent.