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me livrer au repentir de mes fautes, sans vouloir les excuser. Je ne pense à rien qui doive vous alarmer. Si je puis souffrir seule, je ne chercherai point à partager mes peines. J’avais pris la plume dans cette résolution, lorsque j’ai fait la lettre qui est tombée entre vos mains. Ma seule vue, par un motif très-particulier, autant que par l’affection sans bornes que je porte à ma chère Miss Howe, était de savoir d’elle-même, s’il est vrai qu’elle ait été malade, comme j’ai eu le chagrin de l’entendre dire, et comment elle se porte à présent. Mais le sujet de mes peines étant fort récent, et le sentiment de ma douleur fort vif, peut-être ai-je trop parlé de moi-même. On est porté, dans l’affliction, à se tourner vers ceux qu’on croit capables de s’intéresser à nos peines, et dont on espère de la pitié et de la consolation ; ou, pour m’expliquer en moins de mots dans vos termes, l’infortune rend les gens plaintifs . à qui les malheureux adresseront-ils leurs plaintes, si ce n’est à leurs amis ? Miss Howe s’étant trouvée absente lorsque ma lettre est arrivée, je me flatte qu’elle est rétablie. Mais ce serait une satisfaction pour moi, de savoir s’il est vrai que cette chère amie ait été malade. Deux mots encore de votre main vous paraîtraient peut-être une trop grande faveur. Si vous aviez la bonté seulement de me faire dire, oui ou non par la bouche de quelqu’un qui fût chargé de vos ordres, je cesserais de vous importuner. Cependant je ne vous dissimulerai pas que l’amitié de Miss Howe était ma seule douceur dans cette vie, et qu’une ligne d’elle serait aujourd’hui ma plus puissante consolation. Jugez donc, madame, quelle violence je me fais pour vous obéir. Mais je ne m’efforcerai pas moins de me soumettre à vos ordres, quoique je dusse espérer qu’étant informée de la nature de notre commerce, et connaissant si bien sa vertu, vous n’appréhenderiez aucune contagion d’une ou deux lettres que vous lui auriez permis de recevoir et d’écrire. C’est une grâce, néanmoins que je ne vous demande pas. Il ne me reste qu’à supplier le ciel, qui daigne encore me laisser quelques rayons de sa grâce, quoiqu’il lui ait plu d’exercer sur moi sa justice, de me remplir le cœur d’un véritable repentir, et de prendre bientôt dans sa miséricorde, la malheureuse Cl Harlove. p s. j’ajoute, chère madame, que j’ai deux faveurs à vous demander ; l’une, de ne pas faire savoir à ma famille que vous ayez reçu de mes nouvelles ; l’autre, de n’apprendre à personne au monde l’adresse sous laquelle on peut m’écrire ou découvrir ma retraite. Ce dernier point est plus intéressant pour moi que je ne puis vous l’exprimer. En un mot, delà peut dépendre, pour l’avenir, l’espérance que j’ai d’éviter de nouveaux désastres.



Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

mercredi, 5 de juillet. Ma très-chère Clarisse, je reçois de vos nouvelles par une voie d’où j’en attendais peu : par celle de ma mère. Elle avait observé, depuis quelque tems, mon inquiétude et ma tristesse : et, supposant avec raison que vous en étiez l’unique objet, elle s’est assez ouverte aujourd’hui pour me faire juger qu’elle était mieux informée que moi de votre situation. Enfin, s’étant aperçue que cette conjecture ne faisait qu’aigrir mon chagrin, elle m’a confessé qu’elle avait entre les mains une lettre de vous, du 29 de juin, qui m’était adressée. Vous devinez bien que cet aveu est devenu l’occasion d’une petite querelle, qui ne s’est que trop échauffée pour le repos de l’une et de l’autre. En vérité, ma chère, il est surprenant, mais très-surprenant, que, sachant si bien la défense qui m’interdit tout commerce avec vous, vous ayez pu m’adresser une lettre chez ma mère ; tandis qu’il y avait cinquante à parier contre un, qu’elle tomberait entre ses mains, comme il est malheureusement arrivé. En un mot, elle a paru fort offensée de ma désobéissance. Je n’ai pas été moins piquée qu’elle eût ouvert et retenu mes lettres. Notre dispute s’est terminée par un compromis. Ma mère m’a donné la lettre, et la permission de vous écrire une fois ou deux ; et je me suis engagée à lui faire voir ce que je vous écrirois. Au fond, sans compter l’estime infinie qu’elle a pour vous, sa curiosité suffisait pour lui faire souhaiter d’apprendre le sujet de vos plaintes, et l’occasion d’une lettre où votre tristesse est exprimée d’un ton si touchant (mais il me sera aisé de la satisfaire, en ne lui lisant qu’une partie des miennes. J’aurai soin, en les écrivant, de mettre entre deux crochets les endroits que je voudrai lui dérober). Faut-il que je vous rappelle, ma chère Clarisse, trois de mes lettres