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Lorsque je réfléchis sur le dernier de mes misérables projets, après avoir vu les premiers repoussés, frustrés même, autant qu’il était possible, avec un si noble et si vertueux ressentiment, je suis forcé de conclure que j’étais possédé d’une légion de furies sous la forme de ces détestables femmes, qui prétendant connaître leur sexe, ne cessaient pas de me répéter qu’il y a pour chaque femme un moment de foiblesse que je n’avais pas encore trouvé, et qui en appelaient à ma propre expérience pour la justification de leur principe. J’avoue qu’il me paroissait confirmé par toutes mes lumières : car penses-tu que je me fusse obstiné dans mes résolutions, si j’avais connu jusqu’alors une seule femme qui eût résisté constamment aux artifices ou à la persévérance d’un amant chéri ? Pourquoi donc les exemples d’une vertu inébranlable ne sont-ils pas plus communs ? Ou pourquoi le seul qui ait peut-être jamais existé, me tombe-t-il en partage ? Mais c’en est assez pour l’aveu que je ne balance point à te faire ; assez pour me décharger du poids qui m’étouffait, et pour désarmer aussi ta malice, en me reconnaissant indigne de vivre : car personne ne peut dire autant de mal de moi, que j’en dirai moi-même dans cette fatale occasion. J’ajoute, pour te prouver la sincérité de mon repentir, que si, dans l’espace de trois jours, ou dans tout autre tems, avant que mon adorable Clarisse ait découvert la fausseté des histoires qui regardent le capitaine Tomlinson et son oncle, tu peux la retrouver, et la disposer à me faire grâce, je l’épouse en ta présence. Je ne désespère pas encore de cette révolution. Dans quelque lieu que soit ma Clarisse, elle n’y peut être cachée long-temps. J’ai déjà mis toutes mes machines en mouvement pour la découvrir : et si j’ai le bonheur de tomber sur ses traces, lorsqu’aucun de ses amis, comme tu l’observes cruellement, ne lui offrira sa protection, qui aurait l’audace de se commettre avec un homme de ma figure, de mon rang et de ma résolution ? Montre-lui donc ma promesse et tout autre endroit de cette lettre que tu croiras propre à faire impression sur son cœur. Indépendamment de l’amour et de la justice, je serais bien aise, après tout, que cette affaire, qui est assez mauvaise en elle-même, finît sans aucune suite plus fâcheuse : et je ne sais pourquoi il me vient à l’esprit, que, si nous ne la terminons pas entre ma charmante et moi, elle fera couler tôt ou tard quelques gouttes de sang. C’est une autre raison qui ne doit pas lui permettre de pousser le ressentiment trop loin : non que j’en fusse trop fâché d’ailleurs, si je pouvais choisir mon homme… ou, si tu veux, mes hommes ; car, à l’exception d’elle, je déteste cette famille, et je lui voue éternellement la même haine. En réfléchissant sur ta lettre, je ne trouve pas que ce plan de fuite ait rien d’extraordinaire. Elle doit avoir compté sur son bonheur plus que sur les vraisemblances, puisqu’elle n’a pu se promettre de réussir qu’en trompant Dorcas, Will, la Sinclair et les nymphes, ou dans la supposition qu’elle les trouverait hors de garde. Ainsi je ne suis pas jaloux de l’invention. Mais c’est à moi, lorsque je reverrai ces fidèles dépositaires, à les remercier de leur vigilance, et d’avoir jugé à propos, pour leur sûreté, de laisser la porte à demi ouverte ! Malédiction sur cette troupe d’imbécilles. Mabel mériterait d’être brûlée vive, dans la robe qui est le prix de sa trahison. Comme on a rapporté ses propres habits, je veux que cette robe soit renvoyée à sa maîtresse avec les autres, lorsqu’on aura découvert sa retraite. Qu’on attende néanmoins mes ordres ; car il faut ramener, s’il est possible, cette chère fugitive. Je suppose que mon stupide coquin, qui n’a pas su distinguer l’air noble et la taille divine de ma charmante, de l’épaisse forme de Mabel, a couru d’abord vers Hamstead. Cependant j’ai peine à croire qu’elle ait pris cette route. Il devait aller de rue en rue, à toutes les affiches de chambres à louer, et s’informer des nouveaux venus, particulièrement chez les lingères, les marchandes de mode, et dans toutes les maisons où l’on travaille à l’usage des femmes. Si je ne suis pas bientôt éclairci, je ne conseille pas à Dorcas, à Will, à Mabel, de reparoître devant moi ; et nous verrons quel parti je prendrai à l’égard des autres. Malgré la longueur de cette lettre, je te dois quelque explication sur un autre sujet de chagrin, par lequel je t’ai dit que mon attention est partagée. Mon vieil oncle (grâces à sa constitution de fer), est parvenu, à force de soufre, de feu, et le diable sait de quoi, à forcer la goutte de quitter la contre-escarpe de son estomac, justement lorsqu’elle avait rassemblé toutes ses forces pour donner l’assaut à la citadelle de son cœur. En un mot, ils ont trouvé le moyen, par des