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craintes pour l’avenir, qu’ayant une si belle occasion de les faire punir suivant la rigueur des loix, elle ne sortirait pas désormais, quand elle en aurait le pouvoir. Et quelle protection, disait Polly, attendrons-nous d’un homme qui a commis le plus horrible de tous les viols, et qui est lui-même dans le cas, s’il est poursuivi, de se voir condamné au supplice, ou de ne pouvoir l’éviter que par la fuite. La Sinclair, je lui donne encore ce nom, plus effrayée de cette réflexion que les autres, a dit, en gémissant, qu’elle prévoyait la ruine de sa pauvre maison. Sally et Dorcas ayant part aux mêmes craintes, elles ont jugé toutes ensemble que, pour leur sûreté commune, elles devaient laisser la clé pendant le jour à la porte de la rue, afin que toutes les personnes qui leur rendraient visite pussent déposer que Madame Lovelace avait toujours été libre de sortir. Les précautions néanmoins ne devaient pas diminuer. Will, Dorcas et Mabel avoient reçu ordre de redoubler leur vigilance ; et l’on n’était pas moins résolu de s’opposer à son évasion, parce qu’on était bien persuadé qu’elle ne résisterait pas aux belles apparences qui s’offraient pour le lendemain, et qu’un heureux mariage ferait la fortune et la sûreté de tout le monde. On croit ici qu’elle a découvert la clé qu’on avait laissée à la porte ; car étant descendue au jardin, elle a paru jeter les yeux vers la porte de la rue. Hier au matin, une heure après la visite de Polly, elle dit à Mabel qu’elle était sûre de ne pas vivre long-temps, et qu’ayant quantité d’habits qui passeraient peut-être à sa mort à des gens qu’elle avait peu de raison d’estimer, elle voulait lui faire présent d’une robe d’indienne, à laquelle il y aurait peu de changemens à faire pour la rendre convenable à son état. Elle ajouta que Mabel était la seule personne de la maison qu’elle pût voir sans terreur ou sans antipathie. Cette fille ayant paru fort sensible à sa générosité, elle lui proposa de faire venir une couturière, sous prétexte que, n’ayant rien de mieux à faire, elle chercherait sur le champ ce qu’elle avait dessein de lui donner, et qu’elle aiderait elle-même à changer les paremens. Mabel répondit que la couturière de sa maîtresse demeurant dans le voisinage, elle ne doutait pas qu’il ne fût aisé de faire venir une de ses ouvrières. Il tombait alors un peu de pluie. Miss Harlove lui conseilla de prendre sa capote avec la tête. Vous remonterez ici, lui dit-elle, avant que de sortir, parce que j’ai quelques autres commissions à vous donner. Mabel étant équipée pour la pluie, alla lui demander ses ordres, qui consistaient à lui acheter quelques bagatelles ; mais elle ne sortit pas sans avoir vu Madame Sinclair, et sans l’avoir informée de sa commission, en recommandant à Dorcas de veiller pendant son absence. Ainsi, je ne vois aucune apparence que cette fille ait manqué de fidélité, ni que la générosité de sa maîtresse l’ait détachée de vos intérêts. Madame Sinclair la félicita de sa bonne fortune, et Dorcas la regarda d’un œil d’envie. Bientôt elle revint avec l’ouvrière. Alors Dorcas quitta sa garde. Miss Harlove prit dans ses malles une robe et un jupon : elle voulut que Mabel les essayât devant elle, pour juger avec l’ouvrière des changemens qui seraient convenables. Ensuite elle lui dit de passer dans l’appartement de M Lovelace, où les glaces étant plus grandes que dans le sien, elle jugerait mieux de sa nouvelle parure. Mabel voulait prendre avec elle ses propres habits et sa capote : non, lui dit sa maîtresse, vous les remettrez