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faire ouvrir la porte. Cette demande les surprit : elles s’excusèrent sur vos ordres. " vous n’avez pas d’autorité sur moi, leur dit-elle, et vous n’en aurez jamais : songez aux conséquences de votre refus ; rappelez-vous ma naissance et ma fortune : il ne vous reste que deux voies pour éviter votre ruine, de m’ouvrir la porte ou de m’assassiner et de m’ensevelir dans quelque trou de votre cave ou de votre jardin, assez profond pour vous assurer que mon corps ne sera pas découvert. Ce que vous avez déjà fait mérite la mort, et me retenir est un autre crime. " quelle noblesse, quelle force d’esprit cette charmante créature a fait éclater dans toutes les occasions qui demandent du courage et de la constance ! Les femmes répondirent que M Lovelace saurait prouver son mariage, et les dédommager de toutes leurs peines. Elles voulaient entreprendre de justifier leur conduite et l’honneur de leur maison ; mais refusant de les écouter, elle les quitta brusquement, avec de nouvelles menaces. Elle monta quelques degrés pour retourner à son appartement ; mais descendant aussi-tôt sur quelque nouvelle réflexion, elle reprit le chemin du parloir de la rue. L’infame Dorcas s’étant trouvée sur son passage, je saurai me faire des protecteurs, lui dit-elle, quand les fenêtres en devraient souffrir. Cette fille qui l’avait vue entrer chez Madame Sinclair, avait pris dans l’intervalle la clef du parloir dans sa poche. Ainsi, voyant son espérance trompée, la triste Clarisse prit le parti de remonter, en poussant des plaintes, et s’abandonnant aux larmes. Elle n’a pas fait d’autre tentative jusqu’à celle qui lui a réussi. Les femmes ont supposé que vos lettres, qui sont venues l’une sur l’autre, lui apportaient quelque amusement, quoiqu’elle ne vous ait fait aucune réponse. Elles commençaient à se persuader qu’elle vous pardonnerait, et que le dénouement serait heureux. Dimanche, lundi et mardi, personne, suivant vos ordres, ne s’est présenté à sa vue. Mabel a continué de la servir ; mais les bontés qu’elle a marquées pour cette fille, et qu’elle a poussées jusqu’à la familiarité, ont fait juger qu’elle n’était occupée que du dessein de s’évader. On a redoublé les précautions. Mabel rendait un compte si exact de tous les mouvemens de sa maîtresse, qu’on n’a pu concevoir la moindre défiance de sa fidélité. Il ne faut pas douter que pendant ces trois jours, votre infortunée Clarisse n’ait donné toutes ses réflexions à s’ouvrir le chemin de la liberté ; mais elle n’a rien vu apparemment de certain dans tous ses projets. L’invention qui lui a réussi paraît avoir été l’ouvrage du jour même, puisque l’évènement a fait connaître qu’elle dépendait de la disposition du temps : mais il est évident qu’en cultivant sans cesse l’affection de Mabel, elle se promettait quelque chose de sa simplicité ou de sa reconnaissance et de sa pitié. Polly Horton lui fit demander mercredi au matin la permission de monter à sa chambre. Cette demande fut reçue plus favorablement qu’on ne s’y était attendu. Cependant elle se plaignit fort vivement de sa captivité. Polly ayant répondu qu’elle était à la veille d’une heureuse révolution, elle protesta que jamais elle ne se relâcherait en faveur de M Lovelace tandis qu’elle serait retenue dans cette maison, et que peut-être aurait-il sujet de se repentir à son retour des ordres qu’il avait donnés, comme tous ses complices de les avoir suivis. Elle ajouta qu’après l’effort qu’elle avait tenté pour sortir, et le refus qu’on lui avait fait de cette liberté, elle étoit plus tranquille, et que c’était aux femmes de la maison à trembler pour les suites. Ce langage semblait supposer qu’elle était résolue d’attendre votre retour. Les femmes en ont conclu, dans leurs