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femme au monde qui l’emporte sur elle au même âge. Pour la figure, elle est dans sa fleur. C’est une personne admirable, une parfaite beauté : mais, à peine s’arrête-t-on à ces éloges inférieurs, lorsqu’on a joui de l’honneur de sa conversation. Cependant, c’était contre son inclination qu’elle nous accordait cette faveur. Permettez, cher Lovelace, que j’aspire à la gloire de sauver tant de perfections, du danger continuel auquel je les vois exposées de la part du plus adroit et du plus intriguant de tous les hommes. Dans une autre lettre, je vous ai fait valoir l’intérêt de votre propre famille, et particulièrement les désirs de Milord M. Je n’avais pas encore eu l’occasion de la voir. Mais à présent, j’y joins son propre intérêt, celui de l’honneur, les motifs de la justice, de la reconnaissance et de l’humanité, qui doivent tous s’accorder pour la conservation d’un si bel ouvrage de la nature. Tu ne sais pas, Lovelace, quel chagrin j’aurais emporté au fond du cœur, sans savoir à quoi l’attribuer, si je n’avais été bien sûr, en te quittant, que cette fille incomparable était échappée au maudit projet de lui faire recevoir la coquine de Partington pour sa compagne de lit. Il y a quelque chose de si respectable et de si doux, néanmoins, dans la figure de cette belle personne (je ne fais que parler d’elle, depuis que je l’ai vue), que, si je voulais avoir toutes les vertus et toutes les grâces dans un même tableau, je demanderais qu’elles fussent copiées de ses différens airs et de ses attitudes. Elle est née pour faire l’ornement de son siècle. Elle ferait celui de la première dignité. Quelle vivacité perçante, et quelle douceur en même temps dans ses yeux ! J’ai cru voir dans chacun de ses regards un mélange de crainte et d’amour pour vous. Quel divin sourire ! Quel charme de le voir percer au travers du nuage qui couvrait son beau visage, et qui montrait assez qu’elle avait au fond de l’ame plus de tristesse et d’inquiétude qu’elle ne voulait en laisser voir ! Vous pouvez m’accuser d’enthousiasme ; mais, en vérité, j’ai conçu tant de vénération pour l’excellence de son esprit et de son jugement, que, loin de pouvoir excuser celui qui serait capable d’en user mal avec elle, je suis tenté de regretter qu’avec des qualités si angéliques, elle soit destinée au mariage. Elle est tout ame à mes yeux. Quand elle trouverait un mari qui lui ressemblât, pourquoi mettre à des usages profanes les charmantes perfections qu’elle possède ? Pourquoi dégrader un ange aux offices vulgaires de la vie domestique ? Si j’étais son mari, à peine oserais-je souhaiter de la voir mère ; à moins que d’avoir une espèce de certitude morale, que les ames telles que la sienne sont capables de propagation. En un mot, pourquoi ne pas laisser l’ouvrage des sens aux êtres purement corporels ? Je sais que vous-même, vous n’avez pas d’elle des idées moins relevées que les miennes. Belton, Mowbray, Tourville, pensent comme moi, ne mettent pas de fin à leurs éloges, et jurent que ce serait la plus grande pitié du monde, de ruiner une jeune personne dont la chute ne peut réjouir que l’enfer. Quel doit être le mérite d’une femme qui est capable de nous arracher cet aveu, à nous qui ne sommes pas plus réguliers que toi, à tes amis déclarés, qui se sont joints à toi dans tes justes ressentimens contre le reste de sa famille, et qui t’ont offert leur secours pour l’exécution de ta vengeance ! Mais que veux-tu ? Nous ne trouvons aucune ombre de raison à punir une fille innocente qui t’aime de tout son cœur, qui est sous ta protection, et qui a tant souffert, pour toi, de l’injustice de ses parens.