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disposé au mariage, quoiqu’avec la connaissance que j’ai de ton aversion pour cet état, j’aie peine à comprendre que tu aies pu changer si facilement d’humeur. Tu ajoutes que quatre mots de ta belle suffiraient, comme cent, pour tes vues, parce qu’ils prouveraient qu’elle est capable de pardonner le dernier outrage qu’une femme puisse recevoir. Et moi, lorsque je fais réflexion combien il te serait aisé de trouver des couleurs pour donner une autre face à tes intentions, je crois devoir exiger de toi des explications un peu plus nettes ; car je me défie d’un remords passager, qui vient moins de quelque principe, que du chagrin d’avoir vu manquer tes desseins, et qui ressemble à quantité d’autres dont tu as si souvent triomphé. Si tu peux me convaincre assez tôt pour le jour, que tu es résolu de lui rendre une justice honorable, dans le sens qu’elle attache elle-même à ce terme ; ou supposé qu’il soit trop tard pour le tems, si tu veux fixer quelqu’autre jour, que tu dois faire dépendre de son choix, (d’autant plus que tes prétextes pour en user autrement, n’ont été qu’une fiction), j’embrasserai volontiers ta cause, de bouche, si ma visite est acceptée ; ou par écrit, si l’on ne consent point à me voir. Mais dans cette supposition, tu dois permettre que je me rende garant de ta foi ; et tu peux compter qu’alors je soutiendrai le caractère d’un garant, avec plus de constance et d’honneur que la plupart des princes. J’ajoute que mon cœur saigne des cruelles injustices que cette femme angélique a souffertes ; et si tu ne l’épouses pas lorsqu’elle y voudra consentir, ou si tu ne deviens pas le plus tendre et le meilleur des maris après l’avoir épousée, j’aimerais mieux être un ours, une vipère, ou tout autre animal féroce, que toi. Donne-moi des ordres que je puisse exécuter avec honneur ; et tu ne trouveras dans personne plus de chaleur à t’obliger, que dans ton sincère ami.



M Lovelace, à M Belford.

au château de M, mardi, 27 de juin, à minuit. Ta lettre arrive à l’instant, par la diligence extraordinaire de mes couriers. Quel homme d’honneur je te vois tout d’un coup ! Ainsi donc tu prends le caractère imaginaire d’un garant, pour me menacer ? Si je n’étais pas heureusement déterminé en faveur de cette chère personne, je n’aurais pas pensé à t’employer. Mais je te dirai, en passant, que si j’avais changé de résolution après t’avoir engagé dans cette entreprise, je me serais contenté de t’assurer que telle avait été mon intention, lorsque tu t’étais engagé pour moi, et de t’expliquer les raisons de mon changement ; après quoi je t’aurais laissé aux inspirations de ton propre cœur. Le mien n’a jamais connu la crainte d’un homme ni celle d’une femme, jusqu’au temps où j’ai commencé à voir Clarisse Harlove ; ou plutôt, ce qui est beaucoup plus surprenant, jusqu’à ce qu’elle soit tombée sous mon pouvoir. Tu es donc résolu de ne voir cette charmante qu’à certaines conditions ; eh bien, ne la vois pas, et n’en parlons plus. Que m’importe à moi ? Mais j’avais fait tant de fonds sur l’estime que tu m’avais marquée pour elle, que j’ai cru te faire autant de plaisir que tu me rendrais de service. De quoi est-il question ? De lui persuader qu’elle doit consentir à la réparation de son honneur : car à qui ai-je fait tort qu’à moi-même, en me dérobant mes propres joies ? Et s’il y a quelque favorable disposition dans son cœur, que nous manque-t-il à présent que la cérémonie ? Je l’offre encore ; mais si la