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de présence d’esprit, dans la chaleur même de sa défense, ce qu’elle croit devoir à l’occasion, et promettre de si bonne foi moins d’emportement pour tout autre intérêt que celui de son honneur ; cette délibération, ce choix, ces principes ; ce soin de me tenir assez éloigné pour ne pouvoir être aussi prompt à lui saisir la main, qu’elle à se porter le coup fatal : comment serait-il possible de se défendre contre une si véritable et si magnanime vertu ?

Mais elle n’est pas partie, elle ne partira point. Je la presserai par mes lettres de se laisser fléchir pour jeudi. Elle sera ma femme par les seules voies qu’elle puisse goûter. Je la recevrai des mains du capitaine, qui représentera son oncle. Cette innocente ruse ne changera rien à la réalité de nos engagemens. Mon oncle rendra l’âme, ma fortune secondera mes intentions et me mettra tout d’un coup au dessus de tout le monde et de tous les événemens.



M Lovelace, à Miss Clarisse Harlove.

au château de M, samedi au soir, 24 de juin. Si ma très-chère Clarisse ne regarde pas comme un effet de l’amour, et d’une terreur inspirée par l’amour, la misérable figure qu’elle m’a vu faire cette nuit, elle est fort éloignée de me rendre justice. J’ai voulu essayer, jusqu’au dernier moment, si ma soumission pourrait me faire obtenir d’elle la promesse d’être à moi jeudi prochain, puisque cette faveur m’était refusée plutôt, et si j’avais eu le bonheur de l’obtenir, elle aurait été libre de partir pour Hamstead, ou pour tout autre lieu qu’il lui aurait plu de choisir. Mais, après avoir perdu l’espérance de la fléchir, comment pouvais-je lui laisser cette liberté, sans m’exposer à la perdre pour toujours ? Je vous avouerai, madame, qu’ayant trouvé hier, après midi, le papier que Dorcas avait perdu, je fis confesser aussi-tôt à cette fille qu’elle s’était engagée à favoriser votre évasion. Si mes instances avoient pu vous déterminer pour jeudi, je n’aurais fait aucun usage de cette découverte, et je me serais reposé sur votre parole, avec une parfaite confiance. Mais vous trouvant inflexible, j’ai pris la résolution de tenter en me ressentant de la trahison de Dorcas, si je ne pourrais pas obtenir ma grâce, pour condition de la sienne ; ou de prendre occasion de cet incident, pour révoquer le consentement que j’avais donné à votre départ, puisque je n’en pouvais attendre que des suites fatales à mon amour. Ce dessein, à la vérité, sent l’artifice. Aussi vous êtes-vous aperçue que je n’ai pu me défendre d’une vive confusion, lorsque vous me l’avez reproché avec tant de force et de noblesse. Mais j’ose me flatter, madame, que vous ne punirez pas trop sévérement un projet dont je reconnais la bassesse. Il ne menaçait pas votre honneur ; et, dans le cours de l’exécution, vous avez dû reconnaître tout à la fois, que je ne suis pas capable de désavouer mes fautes, et que vous avez sur moi plus de pouvoir qu’une femme n’en eut jamais sur un homme. En un mot, vous m’avez vu fléchir également sous le joug de la conscience et de l’amour. Je n’entreprendrai pas de justifier le parti auquel je me suis attaché, de vous laisser où vous êtes, jusqu’à ce que vous m’ayez promis de vous trouver à l’autel avec moi ; ou jusqu’à mon retour, qui me procurera