Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/372

Cette page n’a pas encore été corrigée

vos parjures. Si ce n’est pas demain, madame, nommez du moins jeudi ; jeudi, qui est l’anniversaire de la naissance de votre oncle. Elle m’a protesté que jamais, jamais elle ne serait à moi. Cependant elle a renouvelé ses instances pour obtenir la liberté de se rendre à Hamstead dès la pointe du jour. Mais je lui ai déclaré nettement que, ma mort y fût-elle attachée, je ne pouvais y consentir, sans être rassuré par des conditions ; et j’espérais, ai-je ajouté, qu’elle ne m’épouvanterait plus par de funestes menaces ; car il redoutais encore le canif. Non, m’a-t-elle dit, si je ne lui faisais rien craindre de beaucoup plus terrible. Il n’y avait qu’un attentat contre son honneur, qui pût la pousser au désespoir. Elle ne pensait qu’à le défendre. Elle n’avait pas eu d’autre vue dans son traité avec l’infâme Dorcas. Le ciel, en qui elle plaçait sa confiance, lui rendrait le même courage dans la même occasion ; mais elle ne lui demandait pas cette grâce pour un intérêt plus léger. Et se tournant vers les femmes : vous, leur a-t-elle dit d’un ton de reine, souvenez-vous que je ne suis pas la femme de cet homme-là. Avec quelque bassesse qu’il m’ait traitée, il n’a jamais eu d’autorité sur moi. S’il part demain, et si vous vous croyez autorisées, par ses ordres, à me retenir contre mon intention, songez à votre propre sûreté. Après cette fière déclaration, elle a pris un des flambeaux qui étoient sur ma table, et sans ajouter un seul mot, elle s’est retirée dans son appartement. Personne n’est sorti du respect qu’elle nous avait imposé. Personne n’a fait un pas, ni pour l’arrêter, ni pour la suivre. Voilà, cher Belford, le fruit que j’ai tiré d’une invention dont j’avais conçu de si grandes espérances ! Ma situation en est dix fois plus misérable. Tu n’as jamais vu d’air plus sot que le nôtre, c’est-à-dire le mien, et celui de la Sinclair et de ses nymphes, pendant les premiers momens qui ont succédé à cette scène. à la fin les deux nièces m’ont fait des railleries outrageantes de ma foiblesse ; et la vieille furie a marqué beaucoup d’inquiétude pour l’honneur et la sûreté de sa maison. Je les ai données toutes au diable ; et me retirant dans ma chambre, je m’y suis enfermé à double tour. Il est temps de partir pour aller fermer les yeux à mon oncle ; j’emporte une riche matière de méditation. Tout ce qui me revient de mes profonds complots, est la honte de les voir découverts ; le regret de m’être inutilement chargé d’une infinité de nouveaux parjures ; le désespoir d’être méprisé par une femme dont je suis idolâtre ; et ce qui est bien plus insupportable pour un cœur fier, celui de l’être par moi-même. C’est le succès, Belford, dans tous les événemens humains, c’est le succès qui justifie. Quelle admiration n’ai-je pas eu jusqu’aujourd’hui pour mes inventions ? Et combien me suis-je applaudi, sur-tout de la dernière ? Elle me paroît à présent si folle, si puérile, que j’en suis avili à mes propres yeux. Efface, brûle, garde-toi de lire jamais toutes les parties de mes lettres où je m’en suis ridiculement vanté ; et n’aie jamais la cruauté de m’en faire de mauvaises plaisanteries ; car je te déclare que je ne les pourrais pas supporter. à l’égard de cette divine fille, je me sens pour elle plus d’amour, plus d’admiration que jamais. Elle sera ma femme, en dépit du ciel et de la terre. Il faut qu’elle soit à moi : avec honneur, sans honneur notre sort commun est d’être l’un à l’autre. Toutes mes offenses, ou, si tu veux, tous mes forfaits contre une fille adorée, sont autant de nouvelles chaînes qui m’attachent pour jamais à elle. Si c’était sur moi qu’elle eût fait tomber ses menaces, j’aurais été bientôt maître de son bras, et je n’aurais pas eu de peine à la faire tomber dans les miens. Mais tourner son ressentiment contre elle-même ; rassurer les offenseurs ; distinguer avec tant