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pour justifier une malheureuse fille qui s’est laissé séduire par la grandeur de ses offres. Oui, monsieur, j’espère… j’espère que, si madame ne vient pas volontairement, vous trouverez quelque moyen d’éclaircir cette affaire en sa présence. Je compte mes portes pour rien dans une occasion de cette nature… je suis amie de la justice. Il faut que cette affaire soit éclaircie par le fond. Je commencerai par jurer que je n’ai pas eu la moindre part à cette noire corruption. Elle n’avait pas fini ce dernier mot, lorsque nous avons entendu ma chère Clarisse tirer ses verroux, ouvrir sa porte, et marcher d’un pas libre dans le corridor. Voici le moment, monsieur, m’ont dit toutes les femmes d’une seule voix… en vérité, Belford, je n’ai pas la force d’en écrire davantage. Cependant il faut que je t’achève la peinture de cette étrange scène. Représente-toi notre conseil assis, pour juger et pour punir la belle corruptrice

moi, la

vieille, cette vieille si redoutée jusqu’alors ! Sally, Polly, Dorcas et Mabel, comme en garde, pour l’empêcher de fuir ou de se cacher ; tous déterminés à consommer cette nuit une damnable entreprise ; résolus même, sur la dernière ouverture, de forcer le passage, et d’employer les dernières violences ; toutes les portes d’en-bas soigneusement fermées, et les fenêtres bouchées ; Will au bas de l’escalier, pour veiller aux moindres mouvemens (car il ne manquait rien à nos brutales précautions). C’est au milieu de ces circonstances que nous l’entendons venir à nous volontairement, et que nous la voyons entrer avec un air incomparable de confiance et de majesté. Toute l’assemblée demeure en silence à sa vue. Chacun est glacé d’étonnement ou de crainte. Moi-même, je suis comme effrayé de sa situation et de la mienne : le cœur me bat ; l’embarras et la confusion me lient la langue, altèrent même mes forces. Elle est muette aussi quelques momens. Elle jette successivement un regard ferme sur moi et sur chaque personne de l’assemblée. Cette préparation achève de nous rendre immobiles. Ensuite, faisant quelques pas devant nous, dans la longueur de la chambre, et retournant sur la même ligne, comme pour se donner le tems de chercher ses termes, ou de modérer son indignation, elle s’arrête, en fixant les yeux sur moi : misérable Lovelace ! Commence-t-elle, avec une force incroyable ; ô le plus abandonné de tous les hommes ! Crois-tu que je ne pénètre point ici ton infame et lâche complot ? Toi, femme, (en regardant la Sinclair) qui as su dans quelques momens m’inspirer de la terreur, mais que je n’ai pas moins méprisée, en te redoutant, et que je regarde aujourd’hui avec détestation, aurais-tu préparé quelque nouveau poison, pour me dérober encore une fois l’usage de mes sens ? Car ce crime est peut-être ton ouvrage. Et se tournant vers moi : barbare ! Une si noire invention rendrait aujourd’hui tes succès bien plus certains. Viles créatures (en s’adressant à toutes les femmes), qui avez peut-être causé la ruine de cent ames innocentes (et ce que je viens d’entendre me fait juger par quelle voie), apprenez donc, s’il est possible que vous l’ayez ignoré, que je ne suis point la femme de ce monstre. Toute perdue que je suis par votre infernal secours, grâces au ciel, je ne suis pas sa femme. Apprenez que j’ai une famille qui vous demandera compte de mon honneur ; une famille puissante, dont mes cris réveilleront la tendresse et la protection. Considérez deux fois à quels nouveaux outrages vous me destinez. Je ne serai jamais la femme du scélérat que vous servez. J’ai de la naissance et du