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M Lovelace, au même.

vendredi au soir. J’avais cru que le temps et l’inclination me manqueraient également pour écrire avant que de me livrer aux six chevaux de mon oncle ; mais je me trouve du temps ; et, ne pouvant ni dormir, ni me distraire des noires idées qui m’assiègent, je n’ai pas d’autre ressource que ma plume. Je suis d’une humeur insupportable à moi-même. Elle va peut-être se mêler avec mon encre. N’attends pas de moi d’autre préparation. Je me suis efforcé, par la douceur et par l’amour, d’amollir… quoi ? Le marbre ; un cœur incapable d’amour et de douceur. Les offenses passées ne sortent pas de sa mémoire ; prête à recevoir des grâces, c’est-à-dire, la permission de partir pour Hamstead ; mais aussi éloignée de les mériter que d’en faire. Ainsi je me suis bientôt vu forcé de renoncer à mon systême de complaisance et de soumission. J’aurais souhaité alors qu’elle eût excité ma colère. Comme un lâche écolier, qui attend le premier coup de poing avant que de pouvoir se résoudre au combat, je l’ai presque défiée d’oser me défier elle-même. Elle a paru s’appercevoir du danger ; et n’ayant pas la hardiesse de me braver directement, elle m’a tenu comme incertain entre l’espérance de la fléchir et le désir de l’offenser. Cependant elle croit la fable de Kentish-Town. Je la vois persuadée que son oncle doit s’y rendre ; et je ne m’aperçois pas qu’elle soupçonne Tomlinson d’être un imposteur. Son inquiétude n’en était pas moins visible pendant notre entretien. Elle a voulu plus d’une fois se retirer. Elle m’a ramené si souvent à ma promesse pour Hamstead, que je me suis trouvé fort embarrassé à répondre, quoiqu’aux termes où j’en étais avec elle, il me fût impossible de l’exécuter. Dans cette situation, les femmes prêtes à m’assister, et sans doute à m’accabler de railleries, si je demeurais en chemin, quel autre parti avois-je à prendre, que de suivre le plan concerté, et de faire naître un prétexte de querelle, pour me mettre en droit de révoquer ma permission, et pour la convaincre que je ne voulais pas être, sans raison, un brutal ravisseur ? J’étais convenu avec les femmes, que, si je ne pouvais trouver dans notre conférence l’occasion de quereller, le billet se trouverait sous mes pas, et que je m’en saisirais aussi-tôt qu’elle m’aurait quitté. Mais, vers dix heures, l’empressement qu’elle a marqué pour se retirer, et le redoublement d’inquiétude que j’ai lu dans ses yeux, m’ont fait craindre que, si je la laissais remonter à sa chambre, il ne me fût difficile de me rapprocher d’elle. Je ne voulais pas m’exposer à ce risque. Je suis sorti un moment, à dix heures, dans le dessein de changer quelque chose à mes dispositions, après lui avoir dit que je la rejoindrais sur le champ. à mon retour, je l’ai trouvée à la porte de la salle, prête à remonter, et je n’ai pu lui persuader de retourner sur ses pas. Dans les sentimens de complaisance où je m’étais soutenu pendant toute la soirée, je n’ai pas eu la présence d’esprit d’employer la force pour l’arrêter. Elle s’est comme glissée d’entre mes mains, et je me suis vu rappelé malgré moi à mon premier systême. Si j’étais capable de mettre un peu d’ordre et de liaison dans mon récit, j’aurais dû te dire d’abord, qu’entre huit et neuf heures du soir, il m’était venu un nouveau courrier de ma famille, pour me prier de prendre avec moi le docteur Sawan , dont mon oncle s’est souvenu que les remèdes lui ont sauvé la vie dans une autre occasion. Je l’avais fait avertir de se tenir prêt pour quatre heures du matin ; car le diable aurait plutôt emporté l’oncle et le docteur, que de me faire remuer d’un pas avant la conclusion de mon entreprise. Devine la suite, si tu veux, et maudis-moi d’avance. Mais tu dois me plaindre, au contraire, si tu es capable de prévoir le dénouement. à peine ma charmante étoit-elle rentrée dans sa chambre, qu’en me retirant dans la mienne, j’ai trouvé un petit papier, que j’ai ramassé. Je l’ai ouvert ; car il était soigneusement plié dans un autre. Que pouvait-ce être qu’une promesse de vingt livres sterling de pension, et d’un diamant, pour corrompre Dorcas, et l’engager à favoriser la fuite de sa maîtresse ? Quelle révolution tout d’un coup dans mes esprits ! J’ai sonné avec assez de violence pour casser le cordon, comme si ma chambre eût été en feu. L’effroi s’est répandu dans la maison. Tout le monde s’est mis en mouvement. Will est accouru le premier : monsieur !