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dire, vicieux d’habitude, sont d’eux-mêmes aussi méchans qu’ils le peuvent, et font sans cesse l’ouvrage de Satan, sans qu’il ait besoin d’y contribuer beaucoup : au lieu qu’il est occupé continuellement à tendre ses filets pour les autres ; et qu’en pêcheur habile, il proportionne l’amorce au poisson qu’il veut prendre. Je ne vois pas même pourquoi l’on blâmerait, dans Dorcas, sa fidélité pour une mauvaise cause. Un général qui sert l’ambition d’un prince dans ses tyranniques entreprises, un avocat qui se charge de la défense d’un criminel ou d’une cause injuste, te paroissent-ils bien différens de Dorcas ? Les crois-tu réellement moins coupables ? Cependant l’un obtiendra le nom de héros ; l’autre, celui d’un modèle d’éloquence, à qui chacun voudra confier ses intérêts ; et leur habileté les élèvera tous deux aux premiers honneurs de leur profession. Fort bien, comme tu dis. Mais que faire, lorsque ma charmante est si déterminée à quitter cette maison ? Seroit-il impossible de trouver quelque moyen de l’obliger, et de faire servir ce moyen même à mes propres vues ? Je suis satisfait de cette ouverture. Il me semble qu’elle peut-être tentée. J’en vais faire mon étude… supposons qu’en effet, je souffre qu’elle m’échappe : tous les désirs de son cœur tendent à ce point ; le triomphe qu’elle sera flattée d’avoir obtenu sur moi, sera une compensation pour tout ce qu’elle a souffert… oui, je suis résolu de l’obliger, lorsqu’elle s’y attend le moins.



M Lovelace, au même.

vendredi, 23 de juin. J’étais sorti ce matin de fort bonne heure, dans un dessein dont l’exécution est encore incertaine. à mon retour, j’ai trouvé un carrosse à six chevaux, qui m’est envoyé par toute ma famille, à la prière de Milord M pour recevoir les derniers soupirs de ce cher oncle. On désespère de sa vie. Sa goutte est remontée à l’estomac, pour avoir bu de la limonade avec excès. Un homme de deux cens mille livres de rente, préférer ses goûts à sa santé ! Il mérite la mort. J’ai donné ordre à son bailli de Berkshire, qui m’amène la voiture, de me la tenir prête pour demain à quatre heures du matin. Il n’en coûtera qu’un peu plus de fatigue aux chevaux, pour réparer ce délai ; et le repos qu’ils prendront dans l’intervalle augmentera leurs forces. D’ailleurs, au moment que je t’écris, peut-être m’appartiennent-ils déjà. Je suis absolument résolu au mariage, si ma chère furie consent à m’accepter. Si son obstination est invincible, je vois bien qu’il faut me rendre aux mouvemens, non de ma conscience, mais des femmes de cette maison. Dorcas l’a informée de l’arrivée du bailli et de sa commission. Elle a souhaité de le voir. Mon retour l’a privée de cette satisfaction. J’ai trouvé Dorcas qui faisait sa leçon à l’honnête bailli sur les questions auxquelles il ne devait pas répondre. Mais j’ai fait demander aussi-tôt la permission de voir ma charmante. Elle m’est accordée ; soit que la nécessité de mon départ l’ait facilement disposée à recevoir mes adieux ; soit que la brillante succession qui m’attend ait le pouvoir de la rendre plus traitable. Je l’entends qui entre dans la salle à manger. Rien, rien, Belford, n’est capable de la toucher. Je n’ai pu rien obtenir d’elle ; quoiqu’elle ait obtenu de moi le point qu’elle avait le plus à cœur.