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je ne doutais pas que vous ne fussiez mariée, et j’ai toujours cru que vous traitiez monsieur avec un peu de dureté ; de sorte que m’ayant placée auprès de vous, je me suis fait un devoir de prendre ses intérêts. Que n’ai-je su plutôt que vous n’étiez pas mariée ! Une dame telle que vous ! Une fortune si considérable ! Se voir si cruellement trompée ! " ah ! Dorcas, avec quelle lâcheté m’a-t-il attirée dans ses piéges ! Ma jeunesse ! Mon peu d’expérience du monde ! Et lorsque je tourne les yeux derrière moi, j’ai aussi quelque chose à me reprocher. " bon dieu, madame ! Que les hommes sont trompeurs ! Les promesses, les sermens… j’en suis sûre, j’en suis sûre ! (et se frottant quatre ou cinq fois les yeux avec son tablier) je puis bien maudire le jour où je suis entrée dans cette maison ! (c’était fort bien expliquer d’où venait l’effronterie de ses yeux, que ma charmante lui avait tant de fois reprochée. Je l’ai louée d’avoir passé si adroitement condamnation sur le caractère de la maison. Elle ne pouvait entreprendre de la justifier, sans rendre son zèle fort suspect.) " pauvre Dorcas ! Hélas ! à la campagne, où j’ai toujours vécu, qu’on connaît peu la dépravation de cette méchante ville ! " mon malheur, madame, est venu de ne pas savoir écrire. J’aurais pu communiquer mes embarras à quelques proches parens que j’ai dans le pays de Galles. Ils m’auraient sauvée de ma ruine. " pauvre Dorcas ! (essuyant ses yeux de son mouchoir ; car cette chère personne est la compassion même pour tous les malheureux, à l’exception de moi…) une tante ne devait-elle pas protéger sa nièce ? L’abominable femme ! " je ne puis dire que ma tante y ait eu part. Elle m’a donné de bons conseils. Elle a long-temps ignoré l’état… " c’est assez, Dorcas ; c’est assez. Dans quel monde nous vivons ! Dans quelle maison suis-je ? Mais prenez courage. Cessez de pleurer (quoiqu’elle ne pût s’en défendre elle-même.) mon infortune peut tourner heureusement pour vous ; et n’en doutez pas, si je vis. " je vous remercie comme le ciel même, ma très-chère madame ! Je partage à présent toutes vos peines, et je vois que le salut de mon ame dépend du service que je suis prête à vous rendre. Si vous m’aviez dit seulement que vous n’étiez pas mariée, j’aurais perdu la vie, plutôt… plutôt… Dorcas a pleuré. Ma charmante s’est mise à pleurer aussi. Je t’en prie, Belford ; quelques réflexions sérieuses sur ces bizarres événemens. Comment les bonnes ames peuvent-elles s’expliquer à elles-mêmes que Satan ait des ministres si fidèles, et que les liens du vice soient incomparablement plus forts que ceux de la vertu ? Comme si le partage de la nature humaine était la corruption et la méchanceté : car si Dorcas avait été honnête fille, et tentée aussi fortement pour commettre le mal, je ne doute pas qu’elle n’eût cédé à la tentation. Et, pour ne pas chercher des exemples hors de nous, ne vois-je pas, dans notre association, cent preuves de l’ascendant du vice sur la vertu ? N’avons-nous pas fait plus, pour l’intérêt de notre vie désordonnée, qu’un homme de bien ne fit jamais pour une bonne cause ? N’avons-nous pas bravé, dans l’occasion, l’autorité des loix ? Avons-nous connu quelques dangers, lorsqu’il a fallu nous servir mutuellement dans nos folles entreprises ? D’où peut venir cette différence ? Je crois l’avoir deviné. Les libertins tels que nous, c’est-à-