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Que serait-ce si j’avais rompu notre mariage, ou si je pensais à le rompre ? Ici, la chère personne a déclaré assez nettement qu’elle n’est pas mariée ; mais Dorcas a feint de ne pas l’entendre. Je conclus qu’elle est déterminée à ne plus garder de mesures. Après deux heures d’un mortel combat, dont je n’ai pas remporté d’autre fruit qu’un renoncement solemnel à toutes mes offres, accompagné de mille témoignages de mépris et de haine, je me renferme dans ma chambre, pour maudire, comme Madame Sinclair, l’heure et le moment où j’ai connu cette impitoyable beauté.



M Lovelace, au même.

mardi matin, 20 de juin. Je t’apprends, Belford, que nous sommes à présent sur le même pied ma charmante et moi : elle ne veut pas que je devienne honnête homme ; elle autorise mes complots par son exemple. Tu dois être plus partial que je ne l’ai jamais supposé, si tu me blâmes à présent de reprendre toutes mes résolutions chancelantes. Ne t’imagine pas que j’explique ses actions dans un sens forcé, pour justifier les miennes. Le loup, à la vérité, n’employa pas de grands prétextes lorsqu’il lui prit envie de quereller l’agneau. Mais tu vas voir que le cas est bien différent. Ma charmante (l’aurais-tu jamais cru ?) prenant avantage du naturel pitoyable de Dorcas, et de quelques expressions vives que cette tendre créature a laissé échapper contre la cruauté des hommes, avec des regrets de ne pouvoir servir sa maîtresse dans ses afflictions, lui a donné le billet suivant, signé de son nom de fille ; car elle a jugé à propos de l’assurer positivement que nous ne sommes pas mariés. je promets qu’aussitôt que je serai en possession de mon bien, je prendrai soin honorablement de Dorcas Martindale ; ou, si je meurs sans avoir pu remplir cette promesse, j’oblige ici mes héritiers, mes exécuteurs et mes administrateurs, de lui payer annuellement, ou à son ordre, pendant tout le cours de sa vie, la somme de vingt livres sterling ; à condition qu’elle m’aidera fidèlement à m’échapper de l’injuste prison où je suis actuellement retenue ; ladite obligation devant commencer, pour moi ou pour mes héritiers, trois mois après le jour de ma délivrance. Je promets aussi de lui donner, aussitôt que je serai libre, la bague de diamant que je lui ai montrée, pour gage de mon honneur sur le reste de cet engagement, écrit de ma propre main, le 19 de juin 17…

Cl Harlove. Eh bien ! Belford, les bras ne te tombent-ils pas d’étonnement ? Quelles promesses, quelles mesures suis-je obligé de garder avec cette chère perfide ? Ne vois-tu pas jusqu’où va sa haine ? Ne vois-tu pas qu’elle est résolue de ne me pardonner jamais ? Ne vois-tu pas néanmoins qu’elle se déshonore absolument aux yeux du public, si sa perfidie lui fait trouver le moyen de m’échapper, et qu’elle s’expose à toutes sortes de chagrins et de fâcheuses aventures ? Qui la recevra ? Qui la protègera ? Déterminée cependant à courir tous ces risques ! Et, pour mettre le comble à sa noirceur, coupable des deux vices dominans de notre siècle, la perfidie et la corruption ! Ah Belford ! Belford ! Ne me dis plus, ne m’écris plus un mot en sa faveur. Tu m’as blâmé de l’avoir logée dans cette maison.