Je lui ai demandé tendrement si c’était-là les préparatifs de l’entrevue qu’elle m’avait fait espérer, et s’il lui avait paru vraisemblable que je pusse consentir si facilement à la perdre. Dois-je être environnée, assiégée comme je le suis ? Eh ! Quelle autorité ces femmes osent-elles s’attribuer sur moi ? Je les ai priées toutes de se retirer, à la réserve de Dorcas, qui m’avait suivi. Alors j’ai cru devoir prendre un air ferme, après avoir éprouvé si long-temps qu’on triomphait de ma douceur. Ayez la bonté, ma chère, lui ai-je dit d’un ton chagrin, et l’aidant par le bras à marcher, d’entrer avec moi dans le parloir ; si vous avez tant de répugnance à remonter, nous pouvons tenir ici notre conférence, et je ne refuse pas que Dorcas en soit témoin. Je l’ai placée sur une chaise ; et me tenant debout, les mains sur mes côtés : voyons, madame, quels sont à présent vos ordres ? Insolent ! S’est écriée la furieuse ; et, se levant, elle a couru vers la fenêtre ; elle a levé le chassis, sans savoir apparemment qu’il était défendu par des barreaux de fer ; et lorsqu’elle a reconnu l’impossibilité de se jeter dans la rue, elle a levé au ciel ses mains jointes, après avoir abandonné son paquet ; et, d’une voix lamentable, elle s’est adressée à deux passans qui traversaient la rue : au nom de dieu, charitables personnes, secourez une malheureuse à qui l’on ôte l’honneur et la vie. Je l’ai enlevée dans mes bras, malgré sa résistance, pendant que le peuple commençait à s’assembler autour de la fenêtre. Elle s’est mise alors à crier : au meurtre ! Au secours ! Mais, redoublant mon effort, je l’ai emportée dans la salle à manger, en dépit de son petit cœur ulcéré, et de la force avec laquelle ses mains s’attachaient à tout ce qu’elles pouvaient rencontrer. Là, j’ai voulu la placer sur une chaise ; mais elle est tombée à terre, presque sans mouvement, et pâle comme la mort. Un torrent de larmes l’a soulagée fort à propos. Dorcas en a paru attendrie jusqu’à pleurer à son exemple. J’ai admiré le pouvoir de la compassion. Plusieurs évanouissemens ayant succédé, je l’ai laissée avec Mabel, Dorcas et Polly ; avec la dernière, parce que de toutes les femmes de la maison, c’est celle qui lui déplait le moins. Une entreprise si résolue ne m’a pas causé peu d’inquiétude. Madame Sinclair et ses nymphes en sont encore plus alarmées, pour ce qu’elles appellent l’honneur de la maison, qui a reçu quelque insulte, avec des menaces de casser les vitres, si la jeune personne qui a crié ne paroissait point. Dans la chaleur du mouvement populaire, les femmes sont venues à moi, pour me demander ce qu’elles devaient répondre au connétable, que le peuple avait déjà fait appeler. Ne manquez pas, leur ai-je dit, de le faire entrer dans la maison, avec deux ou trois des mutins les plus ardens : produisez une de vos filles, après lui avoir frotté les yeux d’un oignon ; sa coëffure et son mouchoir de cou un peu en désordre : qu’elle se reconnaisse pour la personne offensée, à l’occasion d’une querelle de femme, mais contente de la justice qu’on lui a rendue. Vous donnerez quelques sous au connétable, et comptez qu’il se retirera tranquillement. à onze heures. On a suivi mes instructions, et tout est rentré dans l’ordre. Madame Sinclair regrette amèrement d’avoir jamais connu une dame aussi délicate que la mienne. Elle m’a proposé, elle et Sally, de leur abandonner, pendant quelques jours, cette farouche beauté. Je leur ai brusquement imposé silence, et je les ai chargées seulement de redoubler les précautions. L’attendrissement
Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/358
Cette page n’a pas encore été corrigée