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moindre de mes parens ou de mes anciens amis, je dois être retenue dans une prison pour y souffrir de nouvelles injures ? En un mot, si vous prétendez m’arrêter ici, et m’empêcher de suivre le cours de ma destinée ? Après s’être arrêtée, et me voyant encore muet ; ne pouvez-vous répondre à une question si simple ? Je renonce à toute prétention sur vous ; je vous rends toutes vos promesses. Quel droit avez-vous de me retenir ici ? Il m’était impossible de parler. Que répondre à de telles questions ? ô misérable ! A-t-elle repris ; si je n’avais pas été privée de mes sens par la plus honteuse lâcheté, je n’aurais pas laissé passer une semaine, comme je m’aperçois qu’il s’en est passé une entière, sans vous déclarer, comme je le fais à ce moment, que l’infame qui m’a trahie avec cette bassesse, ne sera jamais mon mari. J’écrirai à mon oncle qu’il peut renoncer à ses obligeantes intentions en ma faveur ; que toutes mes espérances sont anéanties ; que je me regarde moi-même comme perdue pour ce monde. Mais ne m’empêchez pas de satisfaire le ciel, pour avoir continué ma correspondance avec vous malgré les avis et la défense de ceux à qui je devais de la soumission, et pour m’être exposée témérairement à vos lâches artifices. Laissez-moi le seul espoir qui me reste ; c’est toute la réparation que je vous demande. Ainsi répondez ; suis-je libre de disposer de moi-même ? Il a fallu répondre ; mais avec combien d’embarras et d’hésitation ! Mon très-cher amour ! Je suis confondu, absolument confondu de la seule pensée… de l’excès… où je me suis emporté. Je vois, j’éprouve, qu’il est impossible de résister à la force de vos discours. Dans toute ma vie, dans toutes mes lectures, je n’ai jamais vu de preuves si parfaites d’attachement à la vertu pour l’amour d’elle-même. Si vous pouvez faire grâce au repentir d’un misérable, qui implore votre bonté à genoux, (je me suis jeté ici à ses pieds, avec toute la vérité du sentiment que j’exprimais) je jure, par tout ce qu’il y a de saint et de juste, et puisse le tonnerre m’écraser devant vous, si je ne suis pas sincère ! Que demain, avant midi, sans attendre votre oncle ni personne, je vous rendrai toute la justice qui est en mon pouvoir. Vous me réglerez ensuite, vous me dirigerez par vos principes, jusqu’à ce que vous m’ayez rendu plus digne de vous que je ne le suis à présent ; et je n’aurai pas la présomption de toucher même à votre robe, avant le bonheur où j’aspire, de pouvoir vous nommer véritablement ma femme. Lâche trompeur ! S’est-elle écriée. Il existe, ce juste dieu que tu invoques ; et le tonnerre n’est pas descendu ! Et tu vis pour augmenter le nombre de tes parjures ! Ma très-chère vie… (en me levant ; car le tour de son exclamation m’avait fait croire qu’elle commençait à se ralentir : mais elle m’a interrompu). Si tes offenses, a-t-elle repris, ne passaient pas les bornes du pardon ; si c’était la première fois que tu eusses bravé le ciel en invoquant sa vengeance contre toi-même, ma situation désespérée pourrait m’engager à me soumettre au plus malheureux sort, avec un homme aussi méprisable que toi. Mais, après ce que j’ai souffert par ta lâche cruauté, je ne puis me lier avec toi sans crime. Encore une fois, je te demande si je suis libre. J’ai voulu parler de Miladi Lawrance, du capitaine Tomlinson et de