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sur tout votre sexe. La malédiction de mon père est accomplie à la lettre, pour cette vie ; et ce n’est pas votre faute si la seconde moitié ne l’est pas encore par la perte de mon ame, comme la première par celle de mon honneur, que vous m’avez dérobé, lâche et infame que vous êtes ! Avec tant de bassesse et d’inhumanité, qu’il semble que le courage vous aurait manqué à vous-même dans cette barbare entreprise, si, pour premier sacrifice, vous ne m’aviez ôté l’usage des sens. Ici, j’ai fait un effort pour parler, en hésitant, et me tournant vers la table où j’ai posé ma plume. Mais elle a continué. écoute-moi jusqu’à la fin, malheureux scélérat ! Homme abandonné ! Homme, dis-je ; car quel autre nom puis-je te donner, lorsque les mortelles attaques des bêtes les plus féroces auraient été plus naturelles, et mille fois moins horribles que les tiennes. Ton cœur paraît trembler à présent. Ton cœur ! Le seul au monde qui soit capable de tant de lâches inventions et d’un excès si cruel. Tremble. Tu as raison de trembler, et d’hésiter comme tu fais, lorsque tu te représentes ce que j’ai souffert pour toi, et l’horrible prix que j’en ai reçu. Sur mon ame ! Belford, toutes mes facultés m’ont manqué. Non-seulement ses regards et son action, mais sa voix, si majestueuse, a porté le trouble jusqu’au fond de mon ame. D’un autre côté, ma maudite action, et son innocence, son mérite, son rang, la supériorité de ses perfections, se sont présentés à mon esprit avec des couleurs si formidables, que le compte imprévu auquel je me voyais appeler m’a paru ressembler à ce compte général dont on nous menace, où l’on dit que notre conscience sera la première à nous accuser. Elle avait eu le temps de rassembler toutes les forces de son éloquence. Sa tête, probablement, avait été tranquille pendant tout le jour. Et moi, je me trouvais d’autant plus déconcerté, que je m’étais attendu à la voir paraître avec un air de confusion. Mais je conçois que la force de son ressentiment avait élevé cette femme incomparable au-dessus de toutes les petites considérations. Ma chère… mon amour, ai-je dit enfin ; jamais, non jamais… je me sentais les lèvres tremblantes, et les jambes affoiblies. Ma voix était intérieure, foible ; mes paroles mal articulées. Jamais un coupable n’en eut plus visiblement l’apparence : tandis qu’étendant sa belle main, elle a repris avec toutes les grâces de l’éloquence la plus vive et la plus touchante. Je ne prétends tirer aucune gloire de la confusion où je te vois. J’ai employé tout le jour à demander au ciel que, si je ne pouvais m’échapper de cette vile maison, il me rendît capable de regarder encore une fois l’auteur de ma ruine avec la fermeté de l’innocence outragée. Je ne te reproche plus ton crime et mon malheur, parce qu’ils sont au-dessus de l’expression. Tu me vois assez calme pour souhaiter que la force continuelle de tes remords puisse te conduire au repentir ; afin que tu ne perdes pas tout droit à cette miséricorde que tu n’as pas eue pour l’infortunée que tu vois devant tes yeux ; et qui avait si bien mérité de trouver un ami fidèle où elle n’a trouvé que le plus cruel des ennemis. Mais apprends-moi ; car tu n’es pas sans doute à la fin de tes projets ; apprends-moi, puisque je suis prisonnière dans un lieu d’horreur, et que je n’ai pas un ami qui puisse me sauver, ce que tu prétends faire du reste d’une vie qui ne mérite plus d’être conservée. Dis-moi si tu me destines à beaucoup d’autres maux, et si, de concert avec le maître de l’enfer sous la