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qu’elle jette les fragmens sous sa table, soit qu’elle ne sache ce qu’elle fait, ou qu’elle ne soit pas contente de ses premières idées. Ensuite, elle se lève, elle se tord les mains, elle pleure, elle cherche autour de la chambre une place pour s’asseoir ; et retournant à sa table, elle se remet dans son fauteuil, où elle reprend sa plume. Dorcas m’a remis, de sa part, une lettre assez bizarre ; quel autre nom puis-je lui donner ? portez cette lettre, lui a-t-elle dit, au plus vil de tous les hommes . L’impertinente Dorcas s’est hâtée de me l’apporter sans autre adresse. J’ai commencé à la transcrire, dans le dessein de t’envoyer la copie. Mais elle est en vérité si remplie d’extravagances, que je ne puis aller jusqu’à la fin ; et l’original est trop singulier pour sortir de mes mains. Je te transcrirai néanmoins quelques-uns des papiers qu’elle a mis en pieces, ou jetés par terre, pour la nouveauté du spectacle, et pour te faire voir combien son esprit travaille, depuis qu’elle est dans ce triste état. C’est te fournir de nouvelles armes contre moi. Mais épargne-toi les commentaires. Mes propres réflexions les rendent inutiles. Dorcas, craignant que sa maîtresse ne demande ses fragmens, souhaite de les remettre dans le lieu où elle les a pris. Will, que j’avais chargé d’une commission pour Hamstead, et tu juges aisément dans quelle vue, revient m’apprendre que Madame Towsend alla hier chez Madame Moore, accompagnée de trois ou quatre hommes de fort mauvaise mine. Elle parut entendre avec beaucoup d’étonnement, que je suis parfaitement réconcilié avec ma femme, et que deux belles dames de mes parentes, qui étoient venues la voir, l’ont engagée à retourner à Londres, où elle est extrêmement heureuse avec moi. Elle soutint que nous n’étions pas mariés, à moins que la cérémonie n’eût été célébrée à Hamstead ; et les femmes étoient bien sûres qu’il n’y avait pas eu de célébration dans leur bourg ; mais, ne l’étant pas moins que Madame Lovelace est heureuse et tranquille, elles n’ont pas ménagé les auteurs du désordre, lorsqu’elles ont su que Madame Towsend est liée avec Miss Howe. Comme je suis sûr que ma belle ne peut écrire ni recevoir aucune lettre, j’ai peu d’inquiétude à présent de ce côté-là. Je m’imagine que Miss Howe sera fort embarrassée de ce qu’elle doit penser, et qu’elle ne se hasardera pas à chercher des éclaircissemens par les anciennes voies. Peut-être supposera-t-elle que son amie a changé de disposition en ma faveur, et qu’elle a honte de l’avouer. Quelle autre idée pourrait-elle prendre, lorsqu’elle ne reçoit rien de sa part, et qu’elle est bien persuadée que sa dernière lettre lui a été remise en mains propres ? En attendant ce que l’avenir nous prépare, il m’est tombé dans la tête un petit projet d’une espèce nouvelle, sans autre vue, je t’assure, que celle de me procurer un peu d’amusement. La variété a des charmes auxquels je ne résiste point. Je ne puis vivre sans intrigue. Ma charmante n’a point à présent de passions, c’est-à-dire, aucune de celles que je lui souhaiterois. Elle exerce uniquement mon respect. Je suis actuellement plus porté à regretter mes offenses, qu’à les renouveller ; et je conserverai cette disposition jusqu’à son rétablissement, parce que je ne puis savoir plutôt comment elle les aura prises. T’apprendrai-je mon projet ? Il n’est pas d’une profondeur extrême : c’est de faire venir ici Madame Moore, Miss Rawlings et ma veuve Bévis, qui souhaitent beaucoup de rendre visite à Madame Lovelace, à présent que nous menons ensemble une vie heureuse : et, si je puis arranger les circonstances