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ses regards farouches l’ont fort effrayée. Justice du ciel ! S’est-elle écriée ; de quoi suis-je menacée ? Et tournant de côté et d’autre des yeux comme égarés, qui sera mon protecteur ? Hélas ! Que vais-je devenir ? Comptez sur moi, ai-je interrompu vivement. Mon cher amour, comptez sur moi. Mais, au fond, vous traitez trop durement cette pauvre Madame Sinclair. Elle est née demoiselle ; elle est veuve d’un homme de considération ; et quoique sa fortune l’oblige de louer des appartemens, elle n’est pas capable d’une bassesse volontaire. Peut-être… peut-être me suis-je trompée, m’a répondu la tremblante Clarisse ; mais je crois… je crois ne commettre aucun crime, en disant que je n’aime pas sa maison. Le vieux dragon s’est avancé vers elle, les bras encore sur ses deux côtés, les sourcils hérissés, les yeux étincelans, la lèvre d’en bas assez remontée sur l’autre pour souffler dans ses narines, le menton allongé et courbé par la violence de sa passion, et de deux ho, madame , prononcés avec le même air de furie, elle a causé tant d’épouvante à la timide Clarisse, que cette chère personne a pris ma manche pour implorer mon secours. J’ai commencé à craindre qu’elle ne tombât dans un mortel évanouissement. Un regard d’indignation que j’ai jeté sur la Sinclair a fini cette scène. Je lui ai dit, pour soutenir les apparences, que je ne comprenais pas quelles pouvaient être ses intentions, soit en prêtant l’oreille à ce qui se passait entre ma femme et moi, soit en paroissant devant nous sans être appelée ; et bien moins, d’où lui venait l’audace de prendre des airs si violens. En effet, Belford, tu me blâmes peut-être d’avoir souffert que cette malheureuse ait poussé si loin l’effronterie. Mais tu juges bien qu’elle est venue sans mon ordre. Elle n’a pas laissé de me continuer ses services, en se jetant sur une chaise, où, d’une voix mêlée de sanglots, et son mouchoir aux yeux, elle a gémi de la dureté de madame et de la mienne. Les efforts que j’ai faits pour l’appaiser, et pour la réconcilier avec ma femme, m’ont occupé jusqu’après minuit. C’est ainsi que, moitié terreur et foiblesse, moitié embarras de voir la nuit si avancée, elle a perdu l’idée d’aller chez Miladi Lesson, et bien-tôt celle d’aller dans tout autre lieu.



M Lovelace, à M Belford.

mardi matin, 13 de juin. Ma foi ! Belford, je n’ai plus rien à prétendre. Mes grandes vues sont remplies. Clarisse est vivante, et je suis ton très-humble serviteur, Lovelace.