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seule. Tout lui paroissait si révoltant, si insupportable, dans une maison dont Miladi Lawrance, qui s’en était informée, avait elle-même une fort mauvaise opinion, qu’elle étoit résolue de n’y pas demeurer la nuit. Remarque, Belford, que, pour éloigner ses défiances, mes nouvelles parentes ne lui avoient pas parlé trop avantageusement de Madame Sinclair et de sa maison. La violence de ses agitations m’a fait appréhender sérieusement quelque désordre pour son esprit ; et, prévoyant qu’avant la fin de la nuit elle aurait d’autres assauts à soutenir, j’ai pris le parti de la flatter, en ordonnant à mon laquais d’amener sur le champ, à quel prix que ce fût, un carrosse pour la conduire à Hamstead. J’ai tenté de l’effrayer par la crainte des voleurs. Elle a méprisé le danger. Il m’a semblé que je faisais le sujet de ses craintes, et que la maison causait toute sa terreur : car j’ai vu clairement que l’histoire de Miladi Lawrance et de Miss Montaigu ne lui paroissait plus qu’une imposture. Mais la confiance et la crédulité commencent à lui manquer un peu trop tard. Que te dirai-je, Belford ? L’amour et la vengeance ont pris possession de tous mes sens ! Ils me déchirent tour à tour ! Les pas que j’ai déjà faits ! Les instigations des femmes ! Le pouvoir que j’ai de pousser l’épreuve à son dernier point, et de me marier ensuite, si je ne puis obtenir d’autre composition ! Que je périsse si je laisse échapper l’occasion ! Mon laquais ne paraît point encore. Il est près d’onze heures. Enfin mon laquais est arrivé. On ne trouve plus de carrosse, à prix d’or ni d’argent. La nuit est trop avancée. Elle me presse encore une fois, elle me conjure de la laisser aller chez Miladi Lesson : cher Lovelace ! Bon Lovelace ! Faites-moi conduire chez Miladi Lesson. L’incommodité de Miss Montaigu est-elle comparable à ma terreur ? Au nom du tout-puissant ! M Lovelace ! Les mains jointes, et les serrant l’une contre l’autre. ô mon ange ! Dans quel désordre je vous vois ! Savez-vous, mon cher amour, quel air vos chimériques terreurs ont répandu sur votre charmant visage ? Savez-vous qu’il est onze heures passées ? Ah ! Qu’importe l’heure ? Minuit, deux heures, quatre heures du matin. Si vos intentions sont honorables, laissez-moi sortir de cette odieuse maison. Observe, Belford, que ce détail, quoiqu’écrit après la scène, est recueilli aussi fidèlement que si je m’étais retiré à chaque circonstance, ou à chaque phrase, pour l’écrire. J’aime cette manière vive de peindre les choses, et je sais que tu l’aimes aussi. à peine ma charmante avait-elle prononcé ces derniers mots, que Madame Sinclair est entrée avec beaucoup de chaleur. Quoi donc, madame ! Eh ! Que vous a fait cette maison ? M Lovelace, vous me connaissez depuis quelque tems. Si je n’ai pas l’honneur de plaire à une dame si délicate, je ne crois pas mériter non plus qu’elle me traite si mal. Et se tournant encore vers ma charmante, ses deux gros bras appuyés à revers sur ses côtes : ho ! Madame, je suis bien aise de vous le dire, vos discours m’étonnent. Vous pourriez ménager un peu plus mon caractère. Et vous, monsieur, (en me regardant fixement, et secouant la tête) si vous êtes un galant homme, un homme d’honneur… quelque dégoût que ma charmante eût pour cette femme, elle ne lui avait jamais trouvé que des manières honnêtes et soumises. Son air mâle et