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son air de grandeur, qui ne s’est jamais démenti dans tous les rôles qu’on lui a fait jouer. Et qui crois-tu que soit ma cousine Montaigu ? Comment le deviner ? N’est-ce pas ? Eh bien, je t’apprends que c’est ma petite Jeannette Golding , une petite créature fort vive, qui ne laisse pas d’avoir le regard modeste. Jeannette Golding est ma cousine Montaigu. Voilà, graces au ciel, une tante et une cousine, toutes deux avec de l’esprit, accoutumées à faire les personnes de qualité, maîtresses d’elles-mêmes, et fort bien élevées, revenues néanmoins de la tendresse de cœur et de la pitié ; de vraies dames de Sparte, qui ne craignent que d’être connues pour ce qu’elles sont, et par conséquent si attentives à se déguiser, qu’elles se croient réellement ce qu’elles imitent. Et sous quels habits crois-tu que je les présente ? Je vais te l’apprendre. Miladi Barbe est en drap d’or, avec des joyaux d’un grand prix. Ma cousine Montaigu, en petit jaune à fleurs d’argent, qui sont l’ouvrage de ses propres mains. Elle n’est pas si bien en diamans que ma tante ; mais les pendans d’oreille et le nœud sont très-riches, et lui siéent à merveille. Jeannette, comme tu sais, a le teint admirable, la gorge belle, et les oreilles d’une beauté singulière. Charlotte a les mêmes avantages, et la taille à-peu-près la même. Je n’ai rien épargné pour les dentelles. Tu ne t’imaginerais pas ce que me coûtent les diamans, quoiqu’ils ne soient loués que pour trois jours. Cette chère personne me ruine. Mais ne vois-tu pas que son règne est court, et qu’il doit l’être ? Madame Sinclair a déjà tout préparé pour la recevoir une seconde fois.



M Lovelace, au même.

lundi, après midi, chez Madame Sinclair. Tout est disposé au gré de mon cœur. En dépit de toutes les objections, en dépit d’une résistance qui est presque allée jusqu’à l’évanouissement, en dépit des précautions, de la vigilance, des soupçons, la maîtresse de mon ame est rentrée dans son premier logement. C’est à présent que toutes les artères me battent ; c’est à présent que mon cœur est dans une agitation continuelle. Mais le temps ne me permet pas de t’expliquer nos opérations. Ma bien-aimée est occupée actuellement à faire ses malles pour ne remettre jamais le pied dans cette maison. J’ose bien le dire, que jamais elle ne l’y remettra, lorsqu’une fois elle en sera sortie. Cependant pas un mot, pas une condition d’amnistie : l’impitoyable Harlove ne veut pas mériter ma pitié ; elle est toujours résolue d’attendre la lettre de Miss Howe ; et si elle trouve alors quelque difficulté dans ses nouveaux systêmes (c’est me donner sujet de ne la remercier de rien)… alors, alors qu’arrivera-t-il ? Alors même elle prendra du temps pour considérer si je dois obtenir grâce, ou me voir rejeté pour jamais. Odieuse indifférence, qui en fait revivre dans mon cœur cent de cette nature ! Cependant Miladi Lawrance et Miss Montaigu déclarent que je dois être satisfait de cette fière suspension. Ne serait-on pas tenté de croire qu’elles ne veulent qu’irriter ma vengeance ? Elles lui sont extrêmement attachées : tout ce qu’elle dit est précieusement recueilli de sa bouche. Elles se sont rendues caution pour ce soir de son retour à Hamstead ; elles doivent y retourner avec elle. Miladi Lawrance