grâces personnelles attireront toujours les yeux sur vous, et vous jetteront dans mille dangers que d’autres éviteraient, avec moins de ces éclatantes faveurs de la nature. C’est à quoi sert presque uniquement la beauté, cet avantage si désiré, si vanté ! ô ma chère ! Si je prenais jamais le parti du mariage, et si je devenais mère d’une Clarisse, (car, pour peu qu’une fille promît, elle n’aurait pas d’autre nom), combien de fois le cœur me saignerait-il en la voyant croître, lorsque je ferais réflexion qu’une prudence et une discrétion sans exemple dans une femme, n’ont pas été dans vous une protection suffisante pour cette beauté qui excite tant de regards et d’admiration ? Que j’appréhenderais peu les attaques de cette maladie qu’on nomme cruelle, parce qu’elle est l’ennemie des beaux visages ! Samedi, après midi. Madame Towsend me quitte à ce moment. Je croyais me souvenir que vous l’aviez vue anciennement avec moi. Mais elle m’assure qu’elle n’a jamais eu l’honneur de vous connaître personnellement. Elle a l’esprit mâle. Elle sait le monde : et ses deux frères étant actuellement au port de Londres, elle garantit leurs services pour une si bonne cause, et ceux même des deux équipages, s’ils deviennent nécessaires. Consentez-y, ma chère. Votre infame aura du moins les bras cassés, pour récompense de toutes ses bassesses. Ce qu’il y a de fâcheux, c’est que Madame Towsend ne peut-être à vous avant jeudi prochain, ou mercredi au plutôt. êtes-vous sûre de votre retraite jusqu’à l’un ou l’autre de ces deux jours ? Je vous crois trop près de Londres. Vous seriez mieux dans la ville même. Si vous changez de lieu, faites-le-moi savoir au même instant. Que mon cœur est déchiré, lorsque je pense à la nécessité où vous êtes de suivre le torrent qui vous pousse, et de cacher jusqu’à votre nom et vos charmes ! Le diabolique personnage ! Il faut qu’il se soit fait un amusement de ses inventions. Cependant ce cruel et barbare amusement est ce qui vous a sauvée des violences subites, auxquelles il n’a eu que trop souvent recours avec des jeunes personnes de fort bonne famille ; car c’est dans cet ordre que le malheureux fait gloire de tendre ses pièges. La bassesse de ce spécieux monstre a plus servi que toute autre considération, à mettre Hickman en crédit auprès de moi. Il est le seul qui sache de moi votre fuite, et les raisons qui vous y ont déterminée. Si je ne les lui avais pas expliquées, il aurait pu juger encore plus mal de l’infame entreprise. Je lui ai communiqué votre billet de Hamstead. Il a tremblé, en le lisant, et son visage s’est couvert de rougeur. Après cette lecture, il s’est jeté à mes pieds, il m’a demandé la permission de se rendre auprès de vous, et de vous offrir un asile dans sa maison. Il avait les larmes aux yeux, et ses instances ne finissaient pas. Je mettrai six chevaux à mon carrosse, me disait-il ; et je ferai gloire, à la face du monde entier, d’aller servir de protecteur à l’innocence opprimée. Son ardeur m’a plu, et je ne le lui ai pas caché. Je ne m’attendais pas à lui trouver tant de vivacité. Mais la soumission d’un homme, pour une femme qu’il aime, n’est peut-être pas une preuve qu’il manque de courage. J’ai cru qu’en retour, je devais quelques égards à sa sûreté, car une démarche ouverte ne manquerait pas d’attirer sur lui la vengeance du plus hardi de tous les brigands, qui a toujours à ses ordres une troupe
Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/331
Cette page n’a pas encore été corrigée