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Comment concevoir que des dehors si doux puissent couvrir tant de fermeté ? J’espérais, lui ai-je dit, qu’elle consentirait sans répugnance à la visite des deux dames que je lui avais tant de fois annoncées. Elle étoit dans une maison étrangère, m’a-t-elle répondu ; elle m’avait vu moi-même ; elle ne pouvait se défendre de rien. Cependant elle avait toujours eu la plus parfaite considération pour les dames de ma famille, sur la réputation de leur mérite et de leur vertu. Je me suis mis à genoux devant elle, dans une allée de verdure où nous étions. J’ai saisi sa main. Je l’ai conjurée, avec un transport qui m’a fait abandonner un moment la conduite de ma langue, de me rendre, par son pardon et par son exemple, plus digne de deux chères tantes qu’elle estimait, plus digne de sa propre bonté. Sur mon ame, ai-je ajouté dans la même ivresse de sentimens, cette bonté, madame, cet excès de bonté que je ne mérite point, me perce jusqu’au fond du cœur. Je ne puis la soutenir. Pourquoi, pourquoi, ai-je pensé alors, n’a-t-elle pas la générosité de prendre cet instant pour me pardonner ? Pourquoi veut-elle me mettre dans la nécessité d’appeler à mon secours ma tante et ma cousine ? La forteresse qui ne se rend point aux sommations d’un conquérant peut-elle espérer une capitulation aussi avantageuse que s’il n’avait pas eu la peine d’amener sa grosse artillerie contr’elle ? Mais la divine fille, qui avait été frappée de l’air de mon visage et du ton de mon discours ; a retiré sa main, en me regardant avec une sorte d’admiration. étrange composé ! A-t-elle dit. Et poussant un soupir : " que de bons et de vertueux sentimens ne dois-tu pas avoir étouffés ? Quelle terrible dureté de cœur doit être la tienne, pour être capable des émotions que tu laisses voir quelquefois, des sentimens qui sortent quelquefois de tes lèvres, et pour l’être aussi de les vaincre, jusqu’à te livrer aux excès les plus opposés " ! Elle s’est arrêtée. Je lui ai répondu, pour réveiller tout ce que j’avais jamais excité de favorable dans son cœur, que j’espérais de cette généreuse inquiétude qu’elle avait témoignée pour moi lorsque je m’étais trouvé si mal… (l’aventure de l’ipécacuanha, Belford). Mais elle m’a interrompu : j’en suis bien récompensée, m’a-t-elle dit. Finissons cet entretien. Il est temps de rentrer. Je veux aller à l’église. (diable ! Ai-je dit tout bas). Les impertinentes femmes, qui l’ont vue faire quelques pas vers la maison, se sont avancées pour l’avertir que le déjeûner l’attendoit. Je n’ai eu que le temps de la supplier, en levant les mains, de me donner l’espérance d’une nouvelle conversation après le déjeûner. Non. Elle était résolue d’aller à l’église. La cruelle personne m’a quitté pour remonter droit à sa chambre, et ne m’a pas même accordé la permission de prendre le thé avec elle. Madame Moore a paru s’étonner de ne pas nous voir en meilleure intelligence, après un si long entretien ; sur-tout dans l’opinion où je l’avais hier laissée, que ma femme consentait au renouvellement de la cérémonie. Mais j’ai levé l’embarras des deux veuves, en leur disant qu’elle voulait se tenir dans cette réserve jusqu’à ce qu’elle sût du capitaine Tomlinson si son oncle assisterait personnellement à la célébration, ou s’il se contenterait de nommer ce digne ami pour le représenter. Je leur ai recommandé encore le secret sur ce point. Elles me l’ont promis, pour elles-mêmes, et pour Miss Rawlings, dont elles m’ont assez vanté la discrétion,