Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/324

Cette page n’a pas encore été corrigée

et, si sa résolution étoit de s’en rapporter à elle, de la mettre en état de juger, par une pleine explication, des circonstances présentes. Je le ferais, monsieur, (c’est sa réponse) si j’avais quelque doute sur le choix auquel je suis portée, entre le mariage et le systême que vous venez d’entendre. Vous devez comprendre que c’est pour le dernier que je me déclare… au reste, monsieur, je souhaite que notre séparation se fasse sans emportement. Ne me mettez pas dans la nécessité de répéter… notre séparation, madame ! Ai-je interrompu. Je ne puis soutenir de si cruelles expressions. Cependant, je ne vous supplie pas moins d’écrire à Miss Howe avant l’arrivée de sa réponse. J’espère que si Miss Howe n’est pas ennemie… Miss Howe est déjà informée du sujet de mes délibérations. La réponse que j’attends ne vous regarde pas, monsieur. Elle n’a rapport qu’à moi. Le cœur de Miss Howe est trop ardent sur les intérêts de l’amitié, pour me laisser en suspends un moment de plus qu’il n’est nécessaire. Sa réponse ne dépend point absolument d’elle-même ; il faut qu’elle voie quelqu’un, qui sera peut-être obligé de voir plusieurs autres personnes. C’est cette maudite contrebandière, Belford, la Towsend de Miss Howe ; je n’en doute pas un moment. Complot, ruse, intrigue, stratagême ! J’ai à me défendre d’une multitude de taupes , qui marchent sous terre autour de moi. Mais que je sois abymé dans leurs souterrains, et taupe moi-même, si leurs projets renversent les miens, et si ma belle m’échappe à présent ! Elle m’a confessé ingénument qu’elle avait pensé à s’embarquer pour quelques-unes de nos colonies d’amérique ; mais qu’ayant été forcée de me voir, ce qu’elle aurait souhaité de pouvoir éviter au péril de sa vie, elle commençait à croire qu’il serait plus heureux pour elle de reprendre son ancien systême favori ; du moins si Miss Howe pouvait lui trouver quelque asile honorable, jusqu’à l’arrivée de son cousin Morden. Mais s’il tardait trop, ou s’il étoit impossible à Miss Howe de lui trouver une retraite assurée, elle reviendrait peut-être au dessein de quitter l’Angleterre : car, après avoir mis son imagination à toutes les épreuves, elle ne se sentait pas capable de retourner au château d’Harlove, où la fureur de son frère, les reproches de sa sœur, la colère de son père, l’affliction encore plus touchante de sa mère, et les tourmens de son propre cœur, lui rendraient la vie insupportable. ô Belford ! Je suis presque au désespoir. Je languis, je meurs pour cette réponse de Miss Howe. Je serais capable d’attaquer, de battre, de dérober, de tout commettre, à l’exception du meurtre, pour l’intercepter. Mais, déterminée comme je te représente ma cruelle déesse, il ne m’en a pas paru moins évident qu’elle conserve encore quelque tendresse pour moi. Il lui est souvent échappé des larmes en me parlant. Elle a poussé plusieurs soupirs. Elle m’a regardé deux fois d’un œil de tendresse, et trois fois d’un œil de compassion. Mais ces rayons de bonté se sont autant de fois repliés, si tu me passes cette expression, et son visage s’est détourné, comme si elle s’était défiée de ses yeux, ou qu’elle n’eût pu soutenir l’ardeur des miens, qui cherchaient dans ses regards un cœur perdu, et qui s’efforçaient de pénétrer par cette voie jusqu’à son ame. J’ai pris plus d’une fois sa main. Elle ne s’est pas beaucoup défendue contre cette liberté. Je l’ai pressée une fois de mes lèvres ; sa colère n’a pas été fort vive, et j’ai remarqué sur son visage, plus de tristesse que d’indignation.