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hors de peine, ma Clarisse et moi ; car il n’y a plus rien à se promettre du délai.



M Lovelace, au même.

samedi matin. J’ai eu l’honneur de passer deux heures entières dans la délicieuse compagnie de ma charmante. Elle a souffert que je lui aie rendu ma visite à six heures, dans le jardin de Madame Moore. La promenade sur la colline m’a été refusée. Sa contenance tranquille et la complaisance qu’elle a eue de me souffrir, ont relevé mes espérances. Je lui ai remis devant les yeux, avec beaucoup de force, toutes les raisons que le capitaine fit hier valoir en ma faveur ; et j’ai ajouté qu’il était parti dans l’espoir d’engager M Jules Harlove à venir en personne, pour me faire de sa main le plus céleste présent qu’un mortel puisse recevoir. Cependant je n’ai pu obtenir qu’une nouvelle promesse d’attendre la réponse de Miss Howe pour prendre ses résolutions. Je ne te répéterai pas les argumens que j’ai employés. Mais il faut, pour ton instruction, que je te communique une partie de ses réponses. Elle avait tout considéré, m’a-t-elle dit. Toute ma conduite était présente à ses yeux. La maison où je l’avais logée ne pouvait être une maison d’honneur. Les gens qui l’habitaient s’étoient fait assez-tôt connaître, s’efforçant de lui faire partager son lit avec Miss Partington, et de concert avec moi, comme elle n’en doutait pas. (sûrement, ai-je pensé, elle n’a pas reçu le double du charitable avis de sa Miss Howe). Ils avoient entendu ses cris. Elle ne pouvait douter que mon insulte n’eût été préméditée. Elle en trouvait la preuve dans le souvenir de tout ce qui l’avait précédée. J’avais eu les plus lâches intentions ; ce point n’était pas douteux pour elle, et l’outrage que je lui avais fait, portait sa certitude à l’évidence. Cette divine fille est toute ame, Belford ! Elle paroît avoir senti des libertés auxquelles l’excès de ma passion m’a rendu moi-même insensible. Elle m’a conseillé de renoncer pour jamais à elle. Quelquefois, m’a-t-elle dit, elle croyait avoir été cruellement traitée par ses plus proches et ses plus chers parens. Dans ces instans, elle avait peine à se défendre d’une sorte de ressentiment ; et la réconciliation, qui faisait dans d’autres tems l’objet de tous ses vœux, était moins le désir favori de son cœur, qu’un systême dont elle s’était autrefois entretenue ; c’était de prendre sa bonne Norton pour guide de sa conduite, et de vivre dans sa terre, suivant l’intention de son grand-père. Elle ne doutait point que son cousin Morden, qui était un de ses curateurs pour cette succession, ne la mît en état de s’y établir sans le secours des loix. S’il le peut et s’il le fait, a-t-elle ajouté, je vous demande, monsieur, ce que j’ai vu dans votre conduite, qui doive me faire préférer à ce parti une union d’intérêts avec vous, lorsqu’il y a si peu de rapport entre nos esprits. Ainsi tu vois, Belford, qu’il entre de la raison, comme du ressentiment, dans la préférence qu’elle fait de sa terre à moi. Tu vois qu’elle se donne la liberté de penser qu’elle peut être heureuse sans moi, et qu’elle est menacée de ne pas l’être avec moi. Je l’avais priée, en finissant mes représentations, de ne pas attendre la réponse de Miss Howe pour lui écrire ;