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Je ne suis pas mécontente de ses soins, pour trouver une maison toute meublée. Il me semble que celle qu’il a en vue vous conviendra beaucoup. Mais, s’il faut attendre trois semaines, vous ne devez pas remettre la cérémonie si loin. D’ailleurs, il peut donner d’avance des ordres pour vos équipages. C’est un de mes étonnemens, qu’il paroisse si soumis. Ma chère, je le répète : continuez de m’écrire. J’insiste absolument sur cette preuve d’amitié. écrivez-moi, et dans le plus grand détail ; ou prenez sur vous toutes les suites. Il n’y a point de démarches qui m’effraient, lorsque je croirai les devoir à la sûreté de votre honneur et de votre repos. Anne Howe.



Miss Clarisse Harlove à Miss Howe.

jeudi, 4 mai. Je ferme les yeux sur tout autre engagement, je suspends tout autre désir, je bannis toute autre crainte, pour vous supplier, très-chère amie, de ne pas vous rendre coupable d’un excès d’amitié pour lequel je ne puis jamais vous faire de remerciemens, et qui deviendra pour moi la source d’un éternel regret. S’il faut vous écrire, je vous écrirai. Je connais votre caractère impatient, lorsque vous croyez votre générosité ou votre amitié blessée. Ma chère Miss Howe ! Voudriez-vous encourir la malédiction d’une mère, comme je me suis attirée celle de mon père ? Ne dirait-on pas qu’il y a de la contagion dans ma faute, si Miss Howe venait à la suivre ? Il y a des choses si visiblement mauvaises, qu’elles ne souffrent pas de discussion ; celle-ci est du nombre. Il est inutile d’apporter des raisons contre une témérité de cette nature. Quelques nobles, quelques généreux que puissent être vos motifs, dieu ne plaise qu’on sache jamais qu’il vous soit entré seulement dans l’idée, de suivre un si mauvais exemple ! D’autant plus que vous n’auriez pas même les excuses qu’on peut alléguer en ma faveur ; particulièrement celle d’avoir été malheureusement surprise. La contrainte où votre mère vous retient ne vous paraîtrait pas insupportable dans une autre occasion. Auriez-vous regardé autrefois comme un tourment, de partager son lit ? Avec quelle joie je recevais cette faveur de la mienne ! Quel plaisir je prenais à travailler sous ses yeux ! Vous pensiez de même autrefois : et je sais que, dans les soirées d’hiver, c’était un de vos plus chers amusemens de lire quelquefois devant elle. Ne me donnez pas sujet de me reprocher à moi-même la raison de ce changement. Apprenez, ma chère, votre amie vous en conjure, apprenez à subjuguer vos propres passions. Tout excès est blâmable, quels qu’en soient les motifs. Ces passions de notre sexe, que nous ne prenons pas la peine de combattre, peuvent avoir la même source que celles que nous condamnons le plus dans les hommes emportés et violens ; et peut-être ne les portent-ils plus loin que par l’influence de l’usage, ou par la force d’une éducation plus libre. Pesons toutes deux cette réflexion, ma chère ; tournons les yeux sur nous-mêmes, et tremblons. Si je vous écris, comme vous m’en faites une loi, j’insiste sur une