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mon dessein est de m’arrêter dans cette honnête maison, jusqu’à l’arrivée d’une lettre que j’attends de Miss Howe. Elle ne saurait tarder plus d’un jour ou deux. Dans cet intervalle, si les dames arrivent, et si leur dessein est de voir la personne que vous avez rendue malheureuse, je saurai si je puis recevoir leur visite. Elle a tourné sur le champ vers la porte ; et sortant, sans ajouter un seul mot, elle est remontée à son appartement. Ah ! Monsieur, m’a dit le capitaine, aussi-tôt qu’il s’est vu seul avec moi, quel ange que cette femme ! J’ai été et je suis un fort méchant homme. Mais s’il arrivait quelque mal, par ma faute, à cette admirable personne, je me le reprocherais plus que toutes les mauvaises actions de ma vie jointes ensemble. Quelque mal ? Infame que tu es. Et quel mal peut-il arriver ? Sommes-nous obligés de régler nos idées par les principes romanesques d’une fille qui regarde comme le plus grand de tous les maux celui qui nous paroît le plus léger ? Ne t’ai-je pas fait le récit de toute notre histoire ? N’a-t-elle pas violé sa promesse ? Ne l’ai-je pas généreusement épargnée, lorsqu’elle était en mon pouvoir ? Jamais amant, dans les mêmes circonstances, n’a marqué plus d’empire sur sa passion ; et tu vois néanmoins quelles sont mes récompenses. Ici, Belford, ce misérable a voulu jouer ton pauvre rôle, et n’a pas été plus heureux que toi. Ses argumens n’ont servi qu’à me confirmer dans les résolutions qu’il voulait combattre. S’il m’avait laissé à moi-même, à la tendresse naturelle de mon caractère, ému comme je l’étais lorsque la belle s’est retirée ; s’il s’était assis, continuant ses odieuses grimaces, et qu’il eût pris le parti de se taire, il est très-possible que j’eusse pris vis-à-vis de lui la chaise qu’elle venait de quitter, et que j’eusse passé une demi heure entière à pleurer avec lui. Mais entreprendre de convaincre un homme qui sait dans son cœur qu’il a tort ! Il devait juger que c’était me mettre dans la nécessité de chercher ce que je pouvais dire en ma faveur ; et lorsque la componction passe du cœur aux lèvres, il faut qu’elle s’évapore en paroles. Je me doute qu’à sa place, tu m’aurais fait le même sermon. Ainsi ce que je lui ai répondu peut suffire pour toi, et doit t’épargner la peine de m’écrire, ou à moi celle de lire un tas de nouvelles impertinences. Le Capit. vous m’aviez dit, monsieur, que votre unique vue était de mettre sa vertu à l’épreuve, et que vous étiez persuadé que votre mariage n’était pas éloigné. Lovel. je l’épouserai assurément ; il en faudra venir là. Je ne doute nullement que je ne l’épouse. Mais, si tu parles d’épouser, n’est-elle pas actuellement au plus haut point de l’épreuve ? Son ressentiment n’est-il pas prêt à se relâcher, pour une entreprise qu’elle a cru indigne de pardon ? Et s’il se relâche, ne sera-t-elle pas capable de me pardonner aussi la dernière offense ? Peut-elle, en un mot, se ressentir plus vivement qu’elle n’a fait dans cette occasion ? Les femmes gardent souvent le secret pour leur honneur ; au lieu qu’elles affectent de troubler les dieux et les hommes par leurs plaintes, après une entreprise qui n’a pas réussi. C’est ma folie, ma foiblesse, d’avoir donné lieu à des violences si peu ménagées. Le Capit. ah ! Monsieur, vous ne réduirez jamais cette vertueuse personne, sans y employer la force. Lovel. eh