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beaucoup, et qui ont droit de faire valoir leur distinction ; toutes ces circonstances ne paroissent rassemblées si vîte, et quelques-unes si favorablement pour l’occasion… Lovel. vous avez vu, madame, dans la lettre de ma tante, qu’elle veut se dispenser des cérémonies, par le seul motif de la considération qu’elle a pour vous. Miss Charlotte fait la même déclaration. Bon dieu ! Est-il possible que vous interprétiez si mal les marques de respect que mes proches auraient voulu vous donner, quoique assez pointilleux, je l’avoue, dans tout autre cas. Ils ont été charmés d’avoir l’occasion de vous faire une politesse à mes dépens. Chacun, dans ma famille, prend plaisir à rire un peu sur mon compte. Mais leur joie fut le premier bruit de notre mariage… Clar. puis-je douter, monsieur, que vous n’ayez toujours quelque réponse prête pour justifier toutes vos idées ? Je parle au capitaine Tomlinson, monsieur. Vous me feriez plaisir de vous retirer, ou, du moins, de ne pas vous tenir derrière ma chaise. Comme elle regardait le capitaine, en m’adressant ces derniers mots, je n’ai pas douté qu’elle n’eût surpris ses yeux, tandis qu’ils prenaient leçon des miens. Il m’a paru déconcerté. Depuis dix ans il ne lui était pas monté tant de rougeur au visage. J’ai mordu mes lèvres de dépit. J’ai fait un tour dans la chambre ; mais je n’ai pas laissé de reprendre mon poste ; et, faisant signe des yeux au capitaine d’observer un peu mieux les siens, j’ai serré ensuite mes paupières, avec le mouvement convenu, comme si je lui avais dit : de l’action, ici, du ressentiment, capitaine . Le Capit. je ne m’imagine pas, madame, que vous me croyiez capable… Clar. ne vous offensez pas, capitaine, je vous ai dit que je ne suis pas d’un caractère soupçonneux. Pardonnez ma sincérité. Il n’y a pas dans le monde, j’ose le dire, un cœur plus sincère que le mien. Elle a tiré son mouchoir, et l’a porté à ses yeux. J’étais prêt, à son exemple, de vanter l’honnêteté de mon cœur ; mais un mouvement de conscience m’a fermé les lèvres. Le coquin de Tomlinson m’a regardé d’un visage attendri, comme s’il m’eût demandé la permission de pleurer avec elle. Je crois qu’il n’aurait pas mal fait de pleurer. Cette marque d’un cœur sensible aurait été d’un grand secours dans l’occasion. Cependant je t’avouerai très-sérieusement que vingt fois, dans cette fatiguante conversation, je me suis dit à moi-même que, si j’avais pu prévoir qu’il dût m’en coûter tant de peine, et que je dusse me rendre si coupable, j’aurais pris le parti de l’honnêteté dans l’origine. Mais pourquoi, me suis-je demandé aussi, cette chère personne est-elle si charmante, et tout à la fois si difficile à vaincre ? Le Capit. si vous doutez de mon honneur, madame, ayez… ayez la bonté… (l’infame flatteur ! Il devait paraître furieux. Je lui avais fait absolument le signe de la colère. Il devait se lever, marcher brusquement vers la fenêtre, reprendre son fouet et son chapeau.) Clar. mes seules observations sont celles que mon âge, mon défaut d’expérience et ma fâcheuse situation me suggèrent. J’avoue que plusieurs circonstances, dont vous ne pouvez avoir été informé que par mon oncle, doivent vous mettre à couvert de tous mes soupçons. Mais l’homme qui est devant vous ferait soupçonner un ange qui se chargerait de sa défense.