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voile : nous pouvons encore être heureux. Ah ! Si j’avais pu me flatter que ce cher objet de mes transports eût pour moi la centième partie de l’amour que j’ai pour elle ! Nos défiances ont été mutuelles : cette divine personne pousse la délicatesse à l’excès. Peut-être en ai-je manqué. Delà toutes nos peines. Mais, cher capitaine, je trouve dans mon cœur l’espérance d’obtenir son amour, parce que j’y trouve la résolution de le mériter. Clar. la mienne est de suivre mes mesures. Le Capit. quoi, madame ! Rien ne peut changer… Clar. non, monsieur. Le Capit. que vais-je dire à M Jules Harlove ? Malheureux oncle ! Quelle surprise pour lui ! Et se tournant vers moi : vous voyez, M Lovelace. Mais c’est à vous-même que vous en avez l’obligation. (il a raison, sur ma foi, ai-je pensé. J’ai traversé la chambre, en mordant successivement de dépit mes deux lèvres, qui avoient perdu le pouvoir de persuader.) le capitaine a fait une révérence à la belle, et s’avançant vers la fenêtre, où étoient son fouet et son chapeau, il les a pris. Il a ouvert la porte : mon enfant, a-t-il dit à quelqu’un qui s’est présenté, ordonnez, je vous prie, à mon laquais d’amener mon cheval à la porte. Lovel. vous ne partirez pas, monsieur ; j’espère de votre bonté que vous ne partirez pas. Je suis le plus malheureux de tous les hommes ! Demeurez de grâce… cependant, hélas !… mais demeurez, monsieur. On peut espérer encore que Miladi Lawrance fera plus d’impression. Le Capit. cher Monsieur Lovelace ! Eh ! Ne devais-je pas espérer que mon digne ami, un oncle affectionné en ferait un peu plus sur sa chère nièce ? Mais pardon. Une lettre me trouvera toujours disposé à servir madame, autant par considération pour elle-même que pour mon cher ami. Elle s’était jetée dans un fauteuil, où, les yeux baissés, et comme immobile, elle paroissait méditer profondément. Le capitaine lui a fait une seconde révérence. Elle n’y a pas répondu. Monsieur, m’a-t-il dit avec un air d’égalité et d’indépendance, je suis votre serviteur. La chère inexplicable a continué de demeurer sans mouvement. Je n’ai jamais vu d’image d’une si profonde rêverie, sur le visage néanmoins d’une personne éveillée. Il a passé devant elle avec une nouvelle révérence. Elle ne s’est pas remuée. Je ne veux pas troubler madame dans ses méditations, m’a-t-il dit d’une voix plus haute. Adieu, monsieur. Vous ne me conduirez pas plus loin, je vous en supplie. Elle a paru se réveiller en soupirant : partez-vous, monsieur ? Le Capit. oui, madame. J’aurais fait mon bonheur de pouvoir vous être utile ; mais je vois que cette entreprise surpasse mes forces. Elle s’est levée avec un air inimitable de dignité et de douceur : je suis fâchée de vous voir partir, monsieur ; mais je ne puis vous arrêter. Vous me voyez sans un seul ami de qui je puisse prendre conseil. M Lovelace a l’art ou le bonheur de s’en faire un grand nombre. Si vous partez, monsieur, je ne vous arrête point. Le Capit. je pars à la vérité, madame ; mais si je pouvais vous servir ou vous plaire en suspendant mon départ… eh bien, monsieur, en se tournant vers moi, quel était donc votre expédient ? Peut-être, madame, a-t-il quelque chose… (elle a soupiré, sans faire aucune réponse. Vengeance ! Ai-je