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apparemment comment je soutiendrais l’attaque. Je t’avouerai, Belford, que j’ai senti à ce moment, dans ma tête un bouleversement qui m’a fait craindre de devenir fou. Mon cerveau me semblait tout en feu. Que n’aurais-je pas donné pour me trouver sur le champ seul avec elle ? J’ai traversé la chambre, en tenant le poing serré sur mon front. Oh ! Que n’ai-je à présent quelqu’un, ai-je pensé en moi-même, que je puisse déchirer et mettre en pieces ! Le Capit. chère madame ! Ne voyez-vous pas combien le pauvre M Lovelace… bon dieu ! Que j’ai trompé votre oncle, à ce compte ! Quelle peinture ne lui ai-je pas fait de votre bonheur ? Combien de fois lui ai-je répété que vous seriez heureux l’un et l’autre ? Clar. ah ! Monsieur, vous ne savez pas combien d’offenses préméditées j’avais eu à pardonner la dernière fois que je vous ai vu, pour être capable de paroître devant vous, telle que je souhaitais alors de pouvoir être à l’avenir. Mais à présent, vous pouvez dire à mon oncle que je ne puis plus espérer sa médiation. Dites-lui que la faute dont je me suis rendue coupable, en donnant à M Lovelace l’occasion de m’arracher à mes vrais amis, à mes amis éprouvés, mes amis naturels, avec quelque rigueur qu’ils m’aient traitée, se présente sans cesse à moi, avec d’autant plus de force pour m’effrayer, que mon sort semble toucher à sa crise, suivant la malédiction d’un père offensé. (ici elle a versé un ruisseau de larmes, qui ont produit leur effet jusques sur mon honnête suppôt, et qui en ont fait pendant quelques momens un Belford . Les trois femmes, accoutumées à pleurer sans douleur, comme à rire sans raison, par la seule force de l’exemple, n’ont pu manquer de tirer leur mouchoir : ce qui devait, au fond, me surprendre d’autant moins que, partagé moi-même entre la surprise, la confusion et l’attendrissement, je n’ai pas eu peu de peine à résister. Qu’un cœur tendre est un mauvais présent du ciel ! Quel moyen d’être heureux avec un cœur sensible ? Cependant tu oses soutenir qu’un cœur dur est un cœur de tigre). Le Capit. quoi, madame ! Je n’obtiendrai pas un moment d’entretien particulier ? Je vous le demande par rapport à moi seul. Les femmes ont voulu se retirer. Elle s’est obstinée à ne pas permettre qu’elles sortissent sans moi. Le capitaine m’a prié d’y consentir. Il me semble, ai-je pensé, que je puis me fier quelques momens à un coquin que j’ai si bien instruit. Elle ne le soupçonne de rien. Je ne lui laisserai que le tems dont elle a besoin pour jeter son premier feu. Cette réflexion m’a fait prendre le parti de sortir avec les femmes. En me retirant, d’un air soumis, j’ai fait à ma déesse une révérence qui m’a gagné tous les cœurs, à l’exception de celui qu’il m’importait de toucher ; car cette fille hautaine n’a pas plié le genou pour me répondre. La disposition de la porte m’a permis de me placer assez favorablement pour ne pas perdre un mot de sa conversation avec le capitaine : mais j’ai pris soin qu’aucun autre que moi ne pût les entendre. Ils ont parlé tous deux assez haut ; elle, par le mouvement de sa colère ; lui, dans le dessein de m’obliger. Et pour diminuer l’admiration que pourrait te causer ma mémoire, je t’apprens que j’avais à la main mes tablettes et mon crayon. Si la belle furieuse s’en était défiée, peut-être m’aurait-elle épargné quelques notes ; et peut-être aussi n’aurait-elle fait qu’en grossir le nombre. Le capitaine s’est d’abord excusé, par diverses raisons, d’avoir donné