Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/293

Cette page n’a pas encore été corrigée

bas ordre. Malgré toutes les perfections de ma Clarisse, rien ne m’engage tant ici que la difficulté. Mais il est question à présent de vaincre ou de périr. Je viens de quitter ma complaisante veuve : elle m’a fait l’honneur de me visiter dans mon nouveau logement. Je lui ai dit qu’autant que je pouvais le prévoir, je lui aurais d’autres obligations dans le cours de cette fâcheuse aventure ; qu’elle me permettrait de lui faire un présent digne d’elle lorsque mes embarras seraient heureusement terminés ; mais que je la suppliais de ne communiquer à personne ce qui se passerait entr’elle et moi, pas même à sa tante, qui me paroissait trop dépendante de Miss Rawlings, fort honnête fille à la vérité, mais qui n’était pas au fait des matières conjugales comme ma chère veuve. J’avais raison, m’a-t-elle dit. Où Miss Rawlings aurait-elle pris ces lumières ? De l’orgueil… fondé sur rien ; c’est tout ce qu’elle lui connaissoit. à l’égard du présent, elle n’en desirait pas : c’était assez pour elle de pouvoir contribuer à la réconciliation d’un mari avec sa femme, et faire avorter de méchans desseins : elle ne doutait pas qu’un esprit aussi envieux que Miss Howe ne triomphât de l’évasion de Madame Lovelace : la jalousie et l’amour étoient capables de bien des noirceurs. Vois, Belford, si je n’ai pas quelque chose à me promettre de cette nouvelle connaissance. Lorsque nous serons un peu plus familiers, qui sait si, tout banni que je suis de la maison pendant les nuits, je ne trouverai pas, avec son secours, le moyen de rendre une visite nocturne à ma cruelle ? Compte qu’il n’y a pas de retraite sûre pour une femme qui est une fois aux prises avec un amant ferme et entreprenant. Mais tu brûles de me voir revenir à la lettre de Miss Howe : je savais que tu en serais alarmé pour moi. Cependant ne t’ai-je pas dit que j’avais pourvu à tout ? J’ai toujours soin de garder les cachets entiers, et de conserver les enveloppes. étoit-il donc si difficile de copier une lettre, en prenant soin de l’alonger un peu ? Compte sur l’habileté de ton ami. Tout était en si bon ordre, que, ne pouvant être soupçonné d’avoir eu le paquet entre les mains, j’aurais défié tout le monde d’y reconnaître mes traces. Si c’était l’écriture de ma charmante qu’il m’eût fallu contrefaire, j’en aurais désespéré pour une si longue lettre. La délicatesse et l’égalité de son ame se font remarquer jusques dans la forme de ses caractères. Miss Howe n’a pas la main mauvaise ; mais elle est fort éloignée d’être si régulière. L’impatience naturelle de ce petit démon précipite l’action de ses doigts, comme tous ses autres mouvemens, et communique à son écriture je ne sais quel air convulsif qu’il n’est pas plus difficile d’imiter à la plume qu’au pinceau de représenter certains gros traits masculins du visage. Es-tu curieux de lire ce que j’ai permis à Miss Howe d’écrire à sa charmante amie ? Tu peux te satisfaire ici. J’ai pris soin de souligner mes changemens et mes additions. Si tu es capable de sentir tout ce que j’y ai mis d’art, tu admireras presque autant que moi-même ma profonde sagesse, et la fécondité de mon invention. J’y fais entrer Miss Lardner, Madame Sinclair, Tomlinson, Madame Fretcheville, Mennell, sur-tout mes libertés : et pourquoi, je te prie, cette surabondance de soins ?