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chère Madame Moore ; non, Miss Rawlings : ne me pressez pas davantage. Vous ne me verrez point à table avec lui ". Elles lui ont dit apparemment quelque chose en ma faveur. " ô le malheureux séducteur ! Que faire pour ma défense, contre un homme qui, dans quelque asile que je puisse choisir, a l’art de faire tourner tous les suffrages en sa faveur, et ceux même des personnes vertueuses de mon sexe ? " après quelques mots encore, que je n’ai pu entendre distinctement, elle a répondu : " ruse exécrable ! Si vous connaissiez sa noirceur, vous jugeriez qu’il n’est pas sans espérance de vous engager toutes deux à seconder le plus lâche de ses complots ". Comment se peut-il, ai-je pensé à l’instant, qu’elle arrive à ce dégré de pénétration ? Ce n’est pas assurément mon démon qui me trahit. Si je l’en croyais capable, je me marierais à l’instant, pour le trahir à son tour. Je suppose que les deux femmes lui ont représenté alors ce que j’avais dit à Miss Rawlings en la quittant ; qu’elle ne voudrait pas s’opposer à l’avantage de Madame Moore. " vous serez maîtresse du prix, n’en doutez pas, a-t-elle répondu. Ce n’est pas de sa libéralité que je vous exhorte à vous défier. Mais nous ne pouvons habiter sous le même toit. Si je le pouvais, pourquoi l’aurais-je quitté, pour chercher une retraite parmi des étrangers ? " ensuite pour répondre à quelque représentation en ma faveur : " c’est une erreur, mesdames. Je ne suis pas réconciliée avec lui. Je ne crois pas un mot de tout ce qu’il me dit. Ne vous a-t-il pas fait connaître de quoi il est capable, par le déguisement où vous l’avez vu ? Si mon histoire était moins longue, ou si je devais être ici plus long-temps, je vous convaincrais que tous mes ressentimens ne sont que trop justes ". Elles l’ont pressée apparemment de souffrir du moins que je dînasse avec elles ; car elle leur a dit : " je n’ai pas d’objection sur ce point. Vous êtes chez vous, Madame Moore. C’est votre table. Le choix de vos convives dépend de vous. Mais laissez-moi la liberté de choisir les miens ". Et puis, à l’offre qu’elles faisaient sans doute de lui envoyer quelques plats dans sa chambre : " un morceau de pain, s’il vous plaît, et un verre d’eau ; c’est tout ce que je puis prendre à présent. Je suis réellement assez mal. N’avez-vous pas remarqué combien j’étais foible ? L’indignation seule m’a soutenue. Je ne vous condamne point de le faire dîner avec vous, " a-t-elle ajouté, sur quelque autre objection de la même nature ; " mais si je n’y suis forcée, je ne passerai point une seule nuit sous le même toit ". Je suppose que Miss Rawlings lui a dit que n’ayant pas l’honneur de dîner avec elle, il n’y avait point de raison qui l’obligeât elle-même de dîner chez Madame Moore ; car elle lui a répondu : " que je ne prive pas Madame Moore de votre compagnie. Il ne vous déplaira point à table ; son entretien est amusant ". Enfin, elles doivent lui avoir représenté que je pourrais abuser de son absence pour donner une bonne couleur à ma conduite, puisqu’elle leur a repliqué : " rien ne m’importe moins que ce qu’il dit ou ce qu’il pense. Le repentir est le seul mal que je lui