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sont aperçues que je désirais leur absence, et j’ai été fort satisfait de leur promptitude à sortir. Je me suis jeté encore une fois aux pieds de mon opiniâtre beauté ; j’ai reconnu mes offenses, j’en ai imploré le pardon, et pour cette fois seulement, avec promesse d’observer plus de circonspection à l’avenir. Il lui était impossible, m’a-t-elle dit, de me pardonner, aussi long-temps qu’elle se souviendrait de mes outrages. Qu’avais-je vu dans sa conduite qui eût été capable d’exciter mon audace ? Quelle injurieuse idée devais-je avoir d’elle, pour m’être flatté du pardon, après m’être rendu si coupable ? Je l’ai suppliée de relire la lettre du capitaine Tomlinson, parce qu’il me paroissait impossible qu’elle y eût donné l’attention qu’elle méritoit. Je l’ai lue, a-t-elle repliqué ; j’ai lu aussi les autres lettres avec une attention suffisante ; ainsi je ne dis rien qu’avec délibération. Et qu’ai-je à craindre de mon frère et de ma sœur ? Ils ne peuvent qu’achever la ruine de ma fortune, du côté de mon père et de mes oncles : qu’ils me dépouillent ; j’y consens volontiers. Ne vous ai-je pas aussi, monsieur, l’obligation d’avoir diminué la fortune qui m’était destinée ? Mais, grâces au ciel, mon ame ne se ressent pas de cette ruine ; elle s’élève au contraire au dessus de la fortune et de vous. Qu’on me dise un mot, je suis prête à renoncer, en faveur de mon frère et de ma sœur, à la terre qui excite leur envie, et même à toutes les espérances qui leur causent de l’inquiétude. J’ai levé les mains et les yeux au ciel, avec un silence d’admiration. Mon frère, a-t-elle continué, peut me regarder comme une fille perdue. Grâces à votre caractère, qui vous a fait parvenir à m’arracher de ma famille, il peut croire qu’il est impossible d’être avec vous et de conserver de l’innocence : vous n’avez que trop justifié leurs plus amères censures, dans cette partie de votre conduite. Mais à présent que j’ai su vous échapper, et me mettre hors des atteintes de vos mystérieux stratagêmes, je m’envelopperai dans mon innocence, et je me reposerai sur le temps et sur ma conduite du rétablissement de mon caractère. Laissez-moi donc, monsieur ; ne vous obstinez pas à me poursuivre… justice du ciel ! Ai-je interrompu. Et pourquoi tant de chaleur et d’emportement ? Si je n’avais pas cédé à vos instances… pardon, madame ; mais vous n’auriez pu pousser le ressentiment plus loin. Misérable ! N’est-ce pas un assez grand crime de m’avoir réduite à ces instances ? Voudrais-tu te faire un mérite de n’avoir pas ruiné tout-à-fait celle à qui tu devais de la protection ? Vas,… fuis ma présence (avec un nouveau transport qui lui a rendu l’éclat naturel de son teint) ; ne me vois jamais : je ne puis te souffrir devant mes yeux. Très-chère, très-chère Clarisse ! Si je te pardonne jamais… elle s’est arrêtée à ce terrible exorde. S’efforcer, a-t-elle repris, s’efforcer de jeter l’effroi dans l’esprit d’une fille de mon âge, par des ruses préméditées, par de lâches inventions, par des alarmes d’incendies ! D’une fille qui s’était déterminée à subir un malheureux sort avec toi ! Chère Clarisse ! Au nom de Dieu… (en tâchant de saisir sa main, tandis que, pour s’éloigner de moi, elle s’avançait vers une salle voisine). Tu oses nommer Dieu ! Tu oses l’invoquer ! ô le plus noir et le